En
refusant à plus de 56 % la pleine souveraineté de la
Nouvelle-Calédonie, le référendum du 4 novembre ne
marque pas la fin d'une revendication. | ACCUEIL BIBLIOTHÈQUE INSULAIRE LETTRES DES ÎLES ALBUM : IMAGES DES ÎLES ÉVÉNEMENTS OPINIONS CONTACT
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| Michel
Naepels, « Histoire de terres kanakes : conflits
fonciers et rapports sociaux dans la région de Houaïlou
(Nouvelle Calédonie) », Paris : Belin
(Socio-histoires), 1998 | « Les
rivages du temps : histoire et anthropologie du
Pacifique » textes réunis par Isabelle Merle et
Michel Naepels, Paris : L'Harmattan (Cahiers du Pacifique Sud
contemporain, 3), 2003 | « Terrains
et destins de Maurice Leenhardt » sous la dir. de Michel
Naepels et Christine Salomon, Paris : École des hautes
études en sciences sociales, 2007 | Michel
Naepels, « Ethnographie, pragmatique, histoire : un
parcours de recherche à Houaïlou,
Nouvelle-Calédonie », Paris : Publications de la
Sorbonne (Itinéraires), 2011 | Michel
Naepels, « Conjurer la guerre : violence et pouvoir
à Nouaïlou (Nouvelle-Calédonie) »,
Paris : École des hautes études en sciences sociales
(En temps & lieux, 41), 2012 |
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En Nouvelle-Calédonie, un non en trompe-l'œil
Michel Naepels, anthropologue
“ Tu vois, qu'on puisse parler ici ensemble, un Noir et un Blanc, c'est ça les accords de Matignon. ”
C'est
par ces mots qu'Henri Néwau, un de mes interlocuteurs dans un
village de la vallée de Houaïlou, conclut notre rencontre,
lors de mon premier séjour en 1991. La
Nouvelle-Calédonie, tendue, sortait de la période
violente des “ événements ”,
achevée par la prise d'otage et l'assaut de la grotte
d'Ouvéa au printemps 1988. Le passif colonial était
considérable. La stricte ségrégation mise en place
au XIXe
siècle reflétait un projet spécifique de
colonisation de peuplement ayant entraîné de très
importantes spoliations foncières. La fin du régime de
l'indigénat en 1946, puis l'accès au suffrage universel
intégral en 1957, avaient rendu quelque liberté à
un peuple colonisé héritier de plus de trois mille ans de
présence dans l'archipel. La revendication
indépendantiste kanak apparut néanmoins tardivement, le
premier bachelier kanak n'étant diplômé qu'en 1962
— alors que le peuplement de l'archipel se poursuivait,
encouragé dans les années 1970 par le premier ministre,
Pierre Messmer, pour prévenir toute possibilité
d'indépendance en rendant les Kanak minoritaires en
Nouvelle-Calédonie. DYNAMIQUE DE DÉCOLONISATION Les
accords de Matignon signés en 1988 ont permis le retour à
la paix et un début de rééquilibrage social.
L'accord de Nouméa en 1998 est allé beaucoup plus loin,
en concevant une dynamique de décolonisation par la
délimitation d'une quasi-citoyenneté (un corps
électoral restreint), d'importants transferts de
compétences, et la définition d'un projet de
société, le “ destin commun ”,
associant les Kanak aux personnes installées de longue date en
Nouvelle-Calédonie dans une nouvelle souveraineté. Comme
l'écrit le préambule de l'accord de Nouméa : “
Il convient (…) de restituer au peuple kanak son identité
confisquée, ce qui équivaut pour lui à une
reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la
fondation d'une nouvelle souveraineté, partagée dans un
destin commun. La décolonisation est le moyen de refonder un
lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd'hui
en Nouvelle-Calédonie. ” En
refusant à plus de 56 % la pleine souveraineté de la
Nouvelle-Calédonie, le référendum du 4 novembre ne
marque pas la fin d'une revendication. C'est même une victoire
pour les indépendantistes. Tout d'abord, parce que le rejet de
l'indépendance est moindre que ce qui était
annoncé (les sondages des derniers mois situant le non entre
63 % et 70 %). Ensuite, parce que les résultats font
apparaître une corrélation générale entre
l'ampleur du vote pour le oui et la proportion de Kanak dans la
population. Une analyse plus fine montrerait que des conflits locaux
ont pu limiter l'adhésion kanak à l'indépendance
dans certaines communes, mais aussi que, dans le grand Nouméa,
un nombre inattendu de non-Kanak, Européens, originaires de
Wallis et Futuna ou de Polynésie française, métis,
ont voté pour l'indépendance — sachant qu'il
est bien difficile de définir les limites de l'appartenance
communautaire. De ce point de vue, le discours d'Emmanuel Macron, le 4
novembre, est très frappant : le
“ dialogue ” et la
“ paix ”, qui sont au cœur des accords de
Matignon, y apparaissent à plusieurs reprises comme les acquis
essentiels des trente dernières années. Mais le
président de la République n'a pas mentionné les
termes centraux de l'accord de Nouméa,
“ décolonisation ”,
“ souveraineté ”, “ destin
commun ” et “ peuple kanak ”
— le terme kanak n'étant reconnu que du bout des
lèvres pour “ saluer l'engagement (…) des autorités coutumières kanak ” dans la campagne du référendum. La
question est pourtant loin d'être résolue par ce
référendum. Tout d'abord parce que l'accord de
Nouméa, constitutionnalisé, prévoit un ou deux
autres rérérendums, dans deux et quatre ans. Et aussi
parce qu'au terme de cette période, la future relation de la
Nouvelle-Calédonie avec la France
— indépendance-association ou Etat
fédéré — demeure à inventer.
Pendant la seconde guerre mondiale, Henri Néwau avait
été volontaire pour défendre la France libre, et
participé à la bataille de Bir Hakeim. Ce lien
privilégié avec la France ne l'a pas empêché
de dire jusqu'aux derniers jours de sa vie que, “ pour l'indépendance, la consigne demeure ”. Michel Naepels Anthropologue et historien, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et directeur de recherche au CNRS
Le Monde, 2018
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