Pierre Lestrade

L'île aux masques

Phébus - D'Aujourd'hui

Paris, 1999

bibliothèque insulaire

   
Nouvelle-Calédonie
îles noires
parutions 1999
L'île aux masques / Pierre Lestrade. - Paris : Phébus, 1999. - 138 p. ; 21 cm. - (D'Aujourd'hui).
ISBN 2-85940-619-0
NOTE DE L'ÉDITEUR : L’après-guerre, dans une Nouvelle-Calédonie qui ne dit pas son nom mais que chacun reconnaîtra sans peine. Quelques têtes brûlées se sont retrouvées, unies par un mal commun, au large de la grande île, sur un rocher transformé en léproserie. La maladie qui les ronge, séquelle d’un autre âge, non encore soignée à l’époque par des moyens modernes, fait d’eux des exclus, des parias dont on s’écarte dans les lieux publics, à qui sont refusées pour jamais les simples douceurs du monde — et d’abord celles de l’amour. Tout se passera le temps d’une nuit.

Ce soir-là un grand bal masqué réunit le gratin de la capitale sur les terrasses du Biarritz. C’est l’occasion, pour trois des oubliés exilés au large, d’approcher le monde qui leur est interdit : déguisés en moines rouges et conduits par un des leurs, Edgar le Caldoche, ils abordent non loin de la plage en fête et, méconnaissables sous leur masque, se risqueront à revenir quelques heures parmi les vivants, prêts à caresser à nouveau d’anciens rêves, à tenter un impossible retour sur scène, à fomenter au besoin quelque terrible mauvais coup, histoire de finir en beauté … L’espoir luit un instant, quelques beautés au corps tentateur font signe dans la nuit, des souvenirs oubliés reprennent vie. Mais le petit matin approche et il faut regagner l’îlot-prison. Edgar, sous le ciel d’encre, conduit la baleinière d’une main sûre. Il songe un instant à jeter l’esquif contre les dents de corail qui montent la garde avant la mer libre : les requins se chargeront bien du reste … Il renonce à cela, dépose ses sompagnons sur leur rocher, explique qu’il reprend la barque pour aller lever les filets, et met le cap droit au large : le chemin dont on ne revient pas.

Rien n’est dit, et c’est tant mieux, qui nous permette d’éclairer cette histoire mangée de nuit. A nous de tâcher d’y voir un peu entre les lignes … Les parias sont de toutes les époques, de toutes les terres. La maladie qu’ils portent en eux — sang impur, contagion réelle ou fantasmée — importe peu au fond : leur rôle ici-bas n’est que de conforter leurs frères « purs », leurs frères « sains » dans la mascarade d’une norme rassurante. A eux la souffrance, l’humiliation, la dépossession. Aux autres, plaisirs, gloire, fortune et bonnes fortunes — mais non point cet amer bienfait promis aux seuls errants : cette lucidité qui permet de savoir avec certitude que l’unique bien commun à tous les hommes, princes ou mendiants, a nom exil.
LE MONDE DES LIVRES, 6 août 1999 : [Pierre Lestrade] met en scène, vers 1946, le thème connu des lépreux encagoulés envahissant un bal masqué : la hideur incognito, la contagion en embuscade. Une bonne manière de peindre et de critiquer la société coloniale comme le fait le héros. Noble, révolté par ses souvenirs du temps où personne n'hésitait à lui serrer la main, compatissant envers ses camarades de douleur, et dur avec lui-même jusqu'au sacrifice libérateur. Si le personnage est romantique, la prose est parnassienne, les mots y prennent des couleurs, des parfums, du goût, et cette élégie sensuelle du « Caillou » compte plus, en définitive, que la fable sans moralité du lépreux masqué.

Jean Soublin
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « " Demandez plutôt la mer … ", manuscrit trouvé sur la plage de Maréa, îles Marquises », Paris : Pygmalion, 1984

mise-à-jour : 8 mai 2017
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