Survol
de la France / Groupe de développement économique
de
l'Hudson institute [à la demande de la DATAR] ;
sous la
dir. de Robert Panero ; introduction de
Jérôme Monod.
- Paris : La Documentation française, 1972. -
124 p. : cartes ; 30 cm. -
(Schéma
général d'aménagement de la
France ; Travaux
et recherches de prospective, 29).
|
|
… ces
comptes rendus constituent une incitation à la
réflexion
et peut-être plus encore une sorte de
« provocation
intellectuelle ».
☐ Jérôme
Monod, Introduction, p. 5 |
Le survol
de la France,
réponse à une commande de la
Délégation
à l'aménagement du territoire et à
l'action
régionale (DATAR) au début des années
70, se
distingue des études de prospective économique et
sociale
telles qu'on les menait à l'époque ;
réalisé par un groupe de chercheurs
américains,
c'est le compte-rendu d'une découverte du territoire
national
tel qu'il apparaît depuis les airs,
complété
d'impressions recueillies lors de brefs entretiens au hasard des
escales au sol : chauffeurs de taxi, hôteliers,
restaurateurs, … Rétrospectivement, le
fruit de
cette démarche atypique — visant
à libérer
l'imagination et la parole 1 —
fait parfois penser aux relations des découvreurs lors des
grandes expéditions des XVIIIe
et XIXe
siècles ; le pire et le meilleur
— intuition et
cécité — s'y mêlent.
Trois parties composent le
rapport : la première consacrée
à la France
du Sud, la dernière à la France du Nord. La
Corse
occupe la place médiane et semble
bénéficier
d'un traitement privilégié : 40 pages
lui sont
consacrées (27 pages pour la France du Sud, 17 pages pour la
France du Nord) ;
mais les conclusions d'ensemble ne font référence
ni aux
constats ni aux projets évoqués à
l'occasion du
survol de l'île. La matière pourtant ne manque
pas,
caractérisée, comme pour l'ensemble du document,
par une
déconcertante alternance, d'intuitions fécondes,
d'éclairs de lucidité, de banalités et
d'irréductibles incompréhensions — ces
derniers
traits souvent soulignés jusqu'à la caricature
par des
formulations sans nuance.
Après
un bref constat de la complexité
des données, le rapport suggère ce que l'on devrait faire,
et propose des
idées en vrac, des scénarios possibles
et quelques
propositions. A
juste titre les auteurs de l'étude recommandent la mise en
œuvre rapide d'un programme de développement
socio-économique mais, selon eux, l'initiative ne peut venir
que
de l'extérieur : les Corses apparaissent
essentiellement passifs, sans aucun esprit d'entreprise 2.
La grande majorité des propositions de
développement
concerne directement ou indirectement le tourisme : les atouts
naturels de l'île ont tout à gagner de la proximité de zones
riches, peuplées et développées 3.
Dans ce contexte sont également
suggérées des
pistes prometteuses, comme par exemple la création d'une
université de rayonnement international à Corte
et, plus
généralement, la nécessité
de promouvoir
l'identité, la culture et la langue corses.
Ce
rapport, réalisé en appliquant une
méthodologie
peu conventionnelle et conçu pour nourrir la
réflexion
interne d'une administration nationale (la DATAR), ne devait
vraisemblablement pas être rendu public, mais des
« fuites » ont alerté
certains
responsables de l'île, accréditant
l'hypothèse que
leur avenir se décidait ailleurs. La publication du document
en
1972 n'a pas corrigé les effets de cette maladresse et le
fossé n'a cessé de se creuser entre les instances
administratives parisiennes et la population insulaire
— cruel paradoxe, si l'on précise qu'aux
yeux des
auteurs du rapport, les
Corses sont toujours « Français d'abord
et Corses ensuite » ce qui, ajoutaient-ils,
freine leur
action ! 4.
1. |
Technique
du survol, p. 10 |
2. |
Complexité
des données, p. 61 |
3. |
Complexité
des données, p. 53 |
4. |
Scénarios
possibles, p. 83 |
|
EXTRAIT |
Une
beauté écrasante pour l'homme.
La
beauté sans égale de la Corse constitue nettement
un de
ses atouts majeurs : « Colorado au bord de
la
mer »,
« unique »,
« à vous couper le
souffle » ;
l'origine de ces réactions se trouve dans la
variété de la topographie, des forêts,
des plages,
des montagnes, de l'architecture et du caractère
généralement sauvage du relief.
La
beauté de la Corse, écrasante, extraordinaire
n'est pas encore abîmée par l'homme.
Mais,
en contrepartie, cette beauté si intense écrase
l'homme.
Une journée de survol est pénible ; on
part le matin
plein de confiance et d'enthousiasme, et on revient le soir inquiet,
incertain et fatigué sous le choc de l'œuvre de la
nature.
C'est une impression similaire à celle qui
résulterait
d'une journée dans un planétarium.
La
grandeur, le caractère et la diversité de la
topographie
sont trop vastes pour être assimilés
aisément ; les paysages rapetissent l'homme qui se
sent
frêle et inutile face à la nature.
Ibiza,
Majorque, la Sardaigne, quoique moins belles et moins grandioses,
donnent l'impression d'être bien plus acceptables,
clémentes et humaines.
Une vue
d'ensemble de la Corse conduit à n'y voir qu'un
déploiement des forces de la nature.
La
vie est difficile dans ce
« planétarium »
et exige des attitudes fatalistes, l'acceptation de
l'inexorabilité et de la suprématie de la nature,
et
l'abandon des théories sur le progrès et le
développement.
Rien
de ce que l'homme est capable de réaliser en Corse ne
saurait se
mesurer avec l'œuvre de la nature. Nous avons tous
été sensibles à cette
ambiguïté de
l'atout majeur de la Corse : sa beauté naturelle
qui
constitue en même temps son caractère le plus
oppressif.
☐ Complexité des
données, p. 53 |
|
COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
A titre d'exemples,
sont proposées ici deux lectures récentes (près de
quarante ans après sa rédaction) du rapport établi
par l'Hudson institute pour la DATAR :
|
- Jean-Louis
Moretti, « Tourisme et aménagement du
territoire en
Corse : la recherche de l'optimum »,
Paris :
L'Harmattan (Tourismes et sociétés), 2010
(pp. 31-35)
- Hélène
Constanty, « Razzia sur la Corse : des
plasticages
à la folie spéculative »,
Paris : Fayard,
2012 (pp. 25-29 et 36)
|
|
|
mise-à-jour : 31
août 2012 |
|
|
|