EXTRAIT |
Le pire des dangers vient des
Camisgie nere, ces satanés Chemises noires italiens.
Autant les bersaglieri, qu'on a obligés à
faire une guerre dont ils ne voulaient pas, marchent en chantant,
la crosse de leurs fusils en l'air de crainte qu'on leur tire
dessus, autant les Camisgie nere sont féroces.
Ils attaquent d'abord et discutent après. Ce sont des
sanguinaires et ils se comportent comme des bêtes enragées.
Il n'y a pas si longtemps ils sévissaient essentiellement
dans la vallée. Ce qui les intéresse, ce sont les
routes et les chemins de fer. C'est là qu'ils espèrent
se procurer de quoi manger et se chauffer. Eux aussi ont l'estomac
vide, les pieds gelés, ce qui les rend encore plus agressifs.
Comme ils sont étrangers
à la Castagniccia, ils ignorent forcément que,
du haut de notre promontoire rocheux, on voit tout ce qui se
passe dans la vallée. D'ici, on distingue par exemple
les naseaux de la locomotive, ils exhalent dans le ciel pur,
par à-coups, des vapeurs reptiliennes noirâtres.
Nous ? On pratique à la manière de Pascal
Paoli : observer en premier, attendre que les accidents
de la nature jouent en notre faveur. Oui, mais il n'existe aucune
armée de la France, du moins en ce moment en Corse, seulement
des maquis. Bonaventure, l'oncle de Bat qui n'a pas sa langue
dans sa poche — ça doit être une tare familiale
chez eux —, affirme en parlant du « Babbu
di a Patria », c'est-à-dire Pascal Paoli,
que « s'il avait continué de la sorte, au lieu
de se prendre pour un grand stratège, notre anti-royalliste,
rêveur d'une monarchie constitutionnelle, n'aurait jamais
été battu le 8 mai 1769 par les armées de
sa majesté le roi de France à Ponte Novu … »
☐ pp. 85-86
|