Manuscrit
trouvé à Saragosse / Jean
Potocki ; texte
établi, présenté et
préfacé par
Roger Caillois. - Paris : Gallimard, 2007. -
346 p. ;
19 cm. + 1 DVD vidéo (version intégrale
du film de Wojciech J. Has, 1964). - (L'Imaginaire).
ISBN
978-2-07-078456-1
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Passer
la nuit dans les bras de deux sœurs, jeunes et belles et, le
matin venu, se réveiller au pied d'un gibet aux
côtés des cadavres de deux sinistres bandits
— tel est le refrain qui scande l'interminable
traversée de la Sierra Morena que tente Alphonse van Worden,
capitaine aux Gardes wallones. Pour le reste, à croire l'Avertissement qui
précède le récit, il s'agit d'un texte
amusant
où les premiers rôles sont tenus par brigands, revenants
et cabalistes.
En
1958, Roger Caillois a révélé les
quatorze
premières journées du roman de Jan Potocki
(1761-1815).
En 1989, René Radrizzani a proposé une
première
édition complète (soixante-et-une
journées)
basée sur le texte original en français et, pour
une
part, sur une traduction polonaise retraduite en français.
En
2006 enfin, François Rosset et Dominique Triaire ont
établi une double édition fondée la
première sur un manuscrit incomplet (45 journées)
de 1804
et, la seconde, sur un manuscrit de 1810 où se suivent les
soixantes-et-une journées dans un traitement sensiblement
remanié.
L'histoire de Zoto
est au cœur du fragment édité par Roger
Caillois où elle tient une large part dans le
récit
des cinquième, sixième, septième et
huitième journées. Au gré des
aventures de Zoto,
la scène est déplacée en Sicile ce qui
donne lieu
à un tableau assez conventionnel de l'île
— “ où les bandits
sont les héros
du peuple, comme les contrebandiers le sont en
Espagne ” —
émaillé à
l'occasion de notations pittoresques.
Une
escapade sur les flancs de l'Etna donne à Zoto
l'idée d'établir, sur une île
entre deux coulées de lave, une colonie où
établir
Sylvia sa maîtresse et les bonnes amies de ses camarades en
brigandage. L'heureux
séjour insulaire, bordé de feu,
n'aura qu'une existence éphémère.
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EXTRAITS |
« Les matelots de la
Méditerranée ont presque tous l'usage de se faire
picoter
sur les bras et la poitrine des chiffres, des profils de
galères, des croix et autres ornements pareils. Mais Lettero
avait enchéri sur cet usage. Il avait gravé sur
l'une de
ses joues un crucifix, et sur l'autre, une madone, desquelles images
l'on ne voyait pourtant que le haut, car le bas en était
caché dans une barbe épaisse que le rasoir ne
touchait
jamais et que les ciseaux seuls contenaient dans de certaines bornes.
Ajoutez à cela des anneaux d'or aux oreilles, un bonnet
rouge,
une ceinture de même couleur, une veste sans manches, des
culottes de matelot, les bras et les pieds nus et les poches pleines
d'or. Tel était le Patron. »
☐
p. 142 |
« J'avais
passé quatre mois avec Sylvia, lorsque je fus
obligé de
la quitter pour reconnaître les changements que la
dernière éruption
avait faits dans le nord. Je trouvai dans ce voyage à la
nature des
charmes qu'auparavant je n'avais pas aperçus. Je remarquai
des gazons,
des grottes, des ombrages, en des lieux où je n'aurais
auparavant vu
que des embuscades ou des postes de défense. Enfin Sylvia
avait
attendri mon cœur de brigand. Mais il ne tarda pas
à reprendre toute sa
férocité.
« Je
reviens à mon voyage au nord de la montagne. Je m'exprime
ainsi parce
que les Siciliens, lorsqu'ils parlent de l'Etna, disent toujours " Il monte "
— ou le mont par excellence. Je dirigeai d'abord ma
marche sur ce que
nous appelons la tour du Philosophe, mais je ne pus y parvenir. Un
gouffre, qui s'était ouvert sur les flancs du volcan, avait
vomi un
torrent de lave qui, se divisant un peu au-dessus de la tour et se
rejoignant un mille au-dessous, y formait une île tout
à fait
inabordable.
« Je
sentis tout de suite l'importance de cette position, et, de plus, nous
avions, dans la tour même, un dépôt de
chataignes que je ne voulais pas
perdre. A force de chercher, je retrouvai un conduit souterrain
où
j'avais passé d'autres fois, et qui me conduisit jusqu'au
pied, ou
plutôt dans la tour elle-même. Aussitôt,
je résolus de placer dans
cette île tout notre peuple femelle. J'y fis construire des
huttes de
feuillage. J'en ornai une autant que je le pus. Puis je retournai au
sud, d'où je ramenai toute la colonie, qui fut
enchantée de son nouvel
asile.
« A
présent, lorsque je reporte ma mémoire au temps
que j'ai passé dans cet
heureux séjour, je l'y retrouve comme isolé, au
milieu des cruelles
agitations qui ont assailli ma vie. Nous étions
séparés des hommes par
des torrents de flammes. Celles de l'amour embrasaient nos sens. Tous y
obéissaient à mes ordres et tout était
soumis à ma chère Sylvia. »
☐ pp. 159-160 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- «
Manuscrit
trouvé à
Saragosse » éd. par Roger
Caillois, Paris : Gallimard, 1958
|
- «
Manuscrit trouvé à Saragosse »
éd. par
René Radrizzani, Paris : José Corti,
1989, 1990, 1994
- «
Manuscrit trouvé à Saragosse »
éd. par
René Radrizzani, Paris : Librairie
générale
française (Le Livre de poche, 9649), 1993
- « Manuscrit
trouvé à Saragosse » version
de 1810
éd. par François Rosset et Dominique Triaire, in Œuvres de
Jean Potocki, vol. IV-1, Louvain, Paris : Peeters,
2006
- « Manuscrit
trouvé à Saragosse » version
de 1804
éd. par François Rosset et Dominique Triaire, in Œuvres de
Jean Potocki, vol. IV-2, Louvain, Paris : Peeters,
2006
- « Manuscrit
trouvé à Saragosse » version
de 1804
éd. par François Rosset et Dominique Triaire,
Paris : Flammarion (GF, 1342), 2007
- « Manuscrit
trouvé à Saragosse » version
de 1810
éd. par François Rosset et Dominique Triaire,
Paris : Flammarion (GF, 1343), 2007
|
- Lorenz
Frischknecht, « Jean Potocki romancier au
travail : les variantes dans les trois versions du Manuscrit
trouvé à Saragosse (1794, 1804,
1810) » Paris : Honoré
Champion (Tournant des Lumières), 2018
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→ Yves
Citton, « Éditer un roman qui n’existe
pas (mais qui
réinvente les Lumières deux siècles
après
sa rédaction) », Acta fabula, vol. 9, 1, janvier
2008 [en
ligne]
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mise-à-jour : 8
novembre 2018 |
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