Les
papiers d'Aspern, et sept autres nouvelles / Henry James ;
traduit
de l'anglais, organisé et présenté par
Jean
Pavans. - Paris : La Différence, 2010. -
477 p. ;
17 cm. - (Minos : Henry James, intégrale
thématique des Nouvelles, 2).
ISBN
978-2-7291-1904-1
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[The
seeking fabulist] comes upon
the
interesting thing as Columbus came upon the isle of San Salvador,
because he had moved in the right direction for it
— also
because he knew, with the encounter, what “ making
land ” then and there represented.
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Henry
James, Preface to The
Aspern papers |
La chasse au trésor
ne se pratique pas seulement dans les îles du Spanish
Main. Lecteur
fervent de Stevenson 1, Henry
James propose une déroutante
variation sur ce thème — non moins violente dans
son cours
et dans son dénouement que celles où
s'illustraient
pirates
et flibustiers, “ un authentique complot … une
sorte de
conspiration ”. Reprenant la trame d'une anecdote historique 2,
James
déplace la scène de Florence à Venise,
un site
plus propice au maniement des règles et figures
obligées
du genre : le trésor est dissimulé,
croit-on, dans “ un curieux coffre suranné, avec des
poignées
compliquées, des courroies
desséchées ” ; les
deux demoiselles immémoriales
qui en ont la garde “ ont une réputation de
sorcières ” ; elles
règnent sur un palais
plusieurs fois centenaire, aux murs décrépits et
aux
fenêtres aveuglées ; alentour se
déploie
l'inextricable réseau des canaux et venelles, puis la
lagune,
puis l'Adriatique … L'assaillant quant à
lui est
prêt à toutes les compromissions pour forcer les
défenses de la citadelle ;
il prodigue l'or à
pleines mains ; hypocrisie,
duplicité
ou pire encore
sont
ses armes — “ je me suis
présenté sous de fausses
couleurs ” avoue-t-il (I have sailed under false
colours, dans l'original). En prélude
à l'épilogue
la mort frappe brutalement, sans dénouer une crise dont
l'issue
s'avèrera, s'il est possible, plus dramatique encore.
Avant de mourir, la
première victime du complot aura trouvé la force
d'accabler, d'une voix
sifflante, furieuse, passionnée, son
agresseur : “ Ah, racaille qui
publie ! ”, rangeant celui-ci comme Colomb
et
autres écumeurs du Spanish
Main dans la catégorie des
prédateurs
implacables.
La traduction de Jean Pavans utilise le texte
de la première
édition, publiée dans trois numéros
successifs de
l'Atlantic Monthly (mars,
avril et mai 1888), reprise en volume la même
année
(Londres et New York, Macmillan). L'édition
définitive de
1908 n'introduit que de rares et légères
modifications
(miss Tita
y devient miss Tina …).
1. |
Dans ses remarques sur l'art du roman
— “ The art of
fiction ”, The
Longman's Magazine, 1894 —, Henry
James évoque L'île
au trésor de Robert Louis Stevenson : “ I call Treasure
Island
delightful because it appears to me to have succeeded wonderfully in
what it attempts (…) that is in tracing the development of
the
moral consciousness of a child ” ; et,
précise-t-il : “ The moral
consciousness of a
child is as much part of life as the islands of the Spanish
Main ”. Pourtant avoue-t-il, “ I
have been a
child in fact, but I have been on a quest for a buried treasure only in
supposition ” ; ce qui lui vaut cette
réponse de
Stevenson : “ Here is, indeed, a wilful
paradox ;
for if he has never been on a quest for buried treasure, it can be
demonstrated that he has never been a child ”
— A
humble remonstrance (1894). “ Les papiers
d'Aspern ” publiés quelques
années plus tard
semblent faire écho à cet amical
échange. |
2. |
Claire
Clairmont (1798-1879), la belle-sœur de Mary Shelley, vivait
à Florence où elle conservait des manuscrits de
Shelley
et de Byron (dont elle avait eu une fille, Allegra). Un
Américain, admirateur de Shelley, avait vainement
intrigué dans le but d'accéder à ces
précieux documents. |
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EXTRAIT |
[La vieille dame] m'écoutait
avec un calme
absolu, et je sentais qu'elle me regardait très
attentivement,
quoique je ne pusse distinguer que la partie inférieure de
son
visage blême et flétri. Mis à part le
décharnement de la vieillesse, il avait dû avoir
autrefois
une grande délicatesse. Elle avait été
très
blonde, elle avait eu un teint merveilleux. Elle resta un instant
silencieuse après mon discours ; puis elle
demanda :
« Si vous aimez tellement les
jardins, pourquoi n'allez-vous sur la terra firma, où
il y en a tellement qui sont plus beaux que celui-ci ?
Oh, c'est la combinaison !
répondis-je en souriant ;
puis, avec une sorte d'envolée lyrique : c'est
l'idée d'un jardin au milieu de la mer.
Il n'est pas au milieu de la mer ; on ne
peut pas voir l'eau. »
Je restai un moment interloqué,
à me demander si elle voulait me convaincre de fraude.
« On
ne peut pas voir l'eau ? Quoi, chère Madame, je
peux arriver à sa porte avec ma barque. »
Elle
se montra incohérente, car à cela elle
répondit vaguement :
« Oui,
si vous avez une barque. Je n'en ai pas ; il y a des
années
que je n'ai pas pris une de ces gondoles. »
Elle
prononça ces mots comme si les gondoles étaient
des
embarcations curieuses et lointaines, qu'elle ne connaissait que par
ouï-dire.
« Laissez-moi
vous assurer que ce serait avec plaisir que je mettrais la mienne
à votre disposition ! »
m'écriai-je.
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pp.
314-315 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « The
Aspern
papers ; Louisa Pallant ; The modern
warning »,
London, New York : Macmillan and Co., 1888
- « The
Aspern
papers ; The turn of the screw ; The liar ;
The two
faces » (The novels and tales of Henry James,
vol. XII), New York : Charles Scribner's sons, 1908
|
- « Les
papiers d'Aspern »
trad. par Jean Pavans, Paris :
Mille et une nuits (La
Petite collection, 243), 1999
- « Les papiers
d'Aspern = The Aspern papers » trad. par
Jean Pavans, Paris : Flammarion (GF, 1159), 2002
|
- « Les
papiers de Jeffrey Aspern » trad. par Jean-Marie Le
Corbeiller, La Tour d'Aigues : Editions de l'Aube
(Mikrós classique), 2018
- « Les
papiers de Jeffrey Aspern » trad. par Fabrice Hugot,
in Les
énigmes du cœur, textes choisis et
présentés par Franck Aigon, Paris :
Omnibus, 2013
- « Les papiers d'Aspern » trad. par Evelyne Labbé, in Nouvelles complètes — tome II (1877-1888), Paris : Gallimard (La Pléiade, 502), 2003
|
- « Heures italiennes »
trad. par Jean Pavans, Paris : La Différence, 1985
- « Letters
from the Palazzo Barbaro » ed. by Rosella Mamoli
Zorzi,
foreword by Leon Edel, London : Pushkin press, 1998
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- Rosella
Mamoli Zorzi, « In
Venice and in the Veneto with Henry James »,
Venezia : Supernova, 2005
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mise-à-jour : 9 octobre 2019 |
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