Vincenzo Consolo

Le sourire du marin inconnu

Grasset - Cahiers rouges, 125

Paris, 1990
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Méditerranée
Le sourire du marin inconnu / Vincenzo Consolo ; traduit de l'italien (Sicile) par Mario Fusco et Michel Sager ; introduction de Cesare Segre ; préface de Leonardo Sciascia. - Paris : Grasset, 1990. - 283 p. ; 19 cm. - (Les Cahiers rouges, 125).
ISBN 2-246-08932-8

« Le sourire du marin inconnu » n'est ni un roman ni un récit historique : en occupant l'espace réputé infranchissable qui sépare les deux genres, Vincenzo Consolo questionne sans concession l'élaboration et la légitimité de chacun. On est loin pourtant d'un exercice de style — le romancier use de sa liberté pour cerner une vérité qui se dérobe aux travaux historiques les plus rigoureux.

Les événements relatés se sont déroulés en Sicile au cœur du XIXe siècle, durant les affrontements qui mirent fin à la domination des Bourbon. Cette période tumultueuse sert de toile de fond à plusieurs œuvres marquantes de la littérature italienne, particulièrement aux « Vice-rois » de Federico De Roberto (1866-1927) et au « Guépard » de GiuseppeTomasi di Lampedusa (1896-1957), tous deux siciliens comme Vincenzo Consolo leur cadet (né en 1933). Comme ses devanciers, Consolo met au premier plan un membre de la noblesse sicilienne, le baron Mandralisca — personnage réel comme les principaux protagonistes de l'œuvre et comme le fameux portrait d'un inconnu peint au XVe siècle par Antonello de Messine dont l'évocation ponctue le récit.

À la différence de De Roberto ou Lampedusa, Consolo ne tente pas de brosser un ample tableau historique et social ; il opère sur un terrain étroitement délimité — les jacqueries paysannes en 1860 dans la région de Cefalú — pour rendre la parole, comme le souhaitait en son temps le baron Mandralisca, aux protagonistes silencieux — artisans et paysans incultes et illettrés — d'une histoire faite « des actions commises par des hommes qui (…) ont le malheur de ne pas posséder le moyen de [les] raconter de vive voix ou par la plume ». L'auteur déploie au service de ce projet l'inventivité formelle du romancier et les outils documentaires de l'historien.

EXTRAIT

— Mais, Mandralisca, vous rendez-vous compte de tout ce qui s'est passé pendant ces quinze ans, et du moment que nous vivons ?
— Je ne vous permet pas ! … éclata Mandralisca.
— Au contraire, baron, vous devez me permettre, vous, parce que vous n'êtes pas un fou joyeux, un imbécile ou un pose-culotte comme la majeure partie des érudits et des nobles siciliens … Vous êtes un homme qui a les capacités d'intelligence et de cœur pour pouvoir comprendre … Et vous êtes un des rares à ne pas avoir rétracté …
— Mais vous, mais vous …, commença Mandralisca en écarquillant les yeux derrière les verres de son pince-nez, et en les déplaçant, émerveillé, du visage d'Interdonato à celui, placé au-dessus, de l'inconnu d'Antonello. Ces deux figures, la vivante et la peinte, étaient identiques : la même coloration olivâtre de la peau, les mêmes yeux perçants et scrutateurs, le même nez pointu et, surtout, le même sourire, ironique et perçant.
— Le marin ! s'écria Mandralisca.
— Oui, baron, c'était moi, ce marin sur le voilier qui, il y a quatre ans, naviguait de Lipari vers Cefalu en faisant escale au Tindaro. Et je savais parfaitement ce que vous portiez, jalousement serré contre votre poitrine, enveloppé dans la toile cirée …
— Comment ?!
— Catena.
— La fille de Carnevale ?
— Une gamine plutôt originale.
— Catena est ma fiancée.
— Oh ! excusez-moi.
— Ne vous excusez pas. Son originalité tient au fait de n'avoir vu son amoureux, en personne, que cinq fois, toujours de façon fugitive et en cachette. Et sa peine était aiguisée par la présence creuse et insaisissable, mais perpétuelle et irritante (et aussi, il faut le dire, à cause de ce sourire) du portrait que voici d'Antonello qui, comme vous l'avez remarqué vous même, me ressemble comme si j'avais posé pour lui. Comprenez-vous pourquoi Catena, un jour, l'a balafré sur la bouche et pourquoi l'apothicaire, son père, l'a vendu ? La pauvre fille a eu la malchance de s'éprendre d'un révolutionnaire.

pp. 104-106

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Il sorriso dell'ignoto marinaio », Torino : Einaudi, 1976
  • « Le sourire du marin inconnu », Paris : Grasset, 1980 ; Grasset (Les Cahiers rouges), 2010
  • « Le retable », Paris : Le Promeneur, 1988
  • « La blessure d'avril », Paris : Le Promeneur, 1990
  • « Les pierres de Pantalica », Paris : Le Promeneur, 1990
  • « D'une maison l'autre, la nuit durant », Paris : Gallimard, 1994
  • « Ruine immortelle », Paris : Seuil, 1996
  • « Le palmier de Palerme », Paris Seuil, 2000
  • « De ce côté du phare : voyages en Sicile », Paris : Seuil, 2005

mise-à-jour : 26 juin 2013
Né le 18 février 1933,
à Sant'Agata di Militello en Sicile,
Vincenzo Consolo est mort à Milan
le 21 janvier 2012.

Antonello da Messina
Ritratto d'ignoto marinaio

Museo Mandralisca • Cefalú
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