Richard Grove

Les îles du Paradis : l'invention de l'écologie aux colonies, 1660-1854

La Découverte - Futurs antérieurs

Paris, 2013
bibliothèque insulaire
   
Maurice, Rodrigues, Chagos, …

parutions 2013

Les îles du Paradis : l'invention de l'écologie aux colonies, 1660-1854 / Richard Grove ; trad. de l'anglais par Mathias Lefèvre ; introduction et postface par Grégory Quenet. - Paris : La Découverte, 2013. - 138 p. ; 19 cm. - (Futurs antérieurs).
ISBN 978-2-7071-7716-2
On a longtemps soutenu l'hypothèse que les préoccupations environnementales se seraient développées à partir de la seconde moitié du XIXe siècle aux Etats-Unis d'Amérique sur la base d'une réflexion opposant l'homme et la wilderness, nature non domestiquée, empreinte de sauvagerie. Les travaux de Richard Grove suggèrent que l'aventure coloniale des grands puissances européennes a pris en compte, dès la fin du XVIIe siècle, les rapports entre l'homme et son environnement, permettant d'expérimenter de véritables stratégies visant à l'optimisation de ces rapports.

Un premier exemple est fourni par la nécessité impérative, pour les puissances coloniales, de disposer dans les mers lointaines d'importantes réserves de bois pour l'entretien de leurs flottes militaires et commerciales : à un déboisement non maîtrisé causant la disparition rapide de la ressource, pouvait être opposée une gestion responsable conciliant la satisfaction des besoins immédiats et le renouvellement nécessaire à la satisfaction des besoins futurs.

Cette première approche rencontre, tout au long du XVIIIe siècle, un terrain favorable avec l'émergence de la philosophie des Lumières, des théories physiocratiques et de l'influence croissante d'un troisième pouvoir, à côté de celui des détenteurs de capitaux et des politiques : celui des détenteurs de savoir — Grove évoque un lobby scientifique, constitué notamment de chirurgiens, agronomes et botanistes ouverts, pour certains, à la prise en considération des connaissances traditionnelles locales.

Dans une seconde phase d'adaptation aux contraintes environnementales, on voit donc se mettre en place des programmes structurés et cohérents visant à une exploitation optimale des ressources naturelles, de véritables plans de développement durable, où l'objectif de profit immédiat est subordonné à celui de la pérennité de l'ensemble des ressources. L'exemple le plus frappant de ce nouvel impératif est fourni par l'action menée à l'île Maurice, alors sous domination française, par Pierre Poivre.

Les îles — Maurice et Sainte-Hélène principalement — tiennent une place importante dans l'argumentation de Richard Grove pour de multiples raisons ; deux d'entre elles, l'une symbolique et l'autre pratique, retiennent l'attention :
  • Depuis l'antiquité, les îles lointaines sont associées dans l'imaginaire occidental à des représentations paradisiaques ou utopiques ; ce mythe a été revivifié au début du XVIIIe siècle, avec la vogue des robinsonnades.
  • Etroitement circonscrites dans la géographie, les îles permettent de ressentir et d'évaluer rapidement les dégradations de l'environnement causées par l'intervention humaine (la déforestation par exemple) ; la nécessité de mesures d'adaptation et de correction s'impose plus facilement et celles-ci peuvent être mises en œuvre sans retard ou presque.
On ajoutera que ces îles, très éloignées des centres de décision financiers et politiques étaient pour ceux-ci des lieux mal connus, sources de profits substantiels mais également de dangers difficiles à évaluer ; cette incertitude inquiète peut expliquer la marge de manœuvre concédée au pouvoir naissant du lobby scientifique, même si ces préconisations pouvaient, par ailleurs, contrarier l'impératif de profit immédiat.

Ainsi, sans avoir fondamentalement contesté le principe de la colonisation, les expériences de développement durable avant l'heure, telles qu'elles sont présentées et commentées par Richard Grove, ont contribué d'une part à infléchir dans un sens positif certains effets des politiques coloniales et d'autre part à soumettre, pour un temps et dans un cadre géographique limités, l'appétit de profit immédiat de certains à l'intérêt durable d'une communauté.
Publié en revue en 1993, le texte de Richard Grove peut être tenu pour le germe de l'ouvrage publié trois ans plus tard — « Green imperialism : colonial expansion, tropical island edens and the origins of environmentalism, 1600-1860 » dont une prochaine traduction française est annoncée.
La préface et la postface de Grégory Quenet présentent l'œuvre de Richard Grove, sa réception dans le monde académique et les vifs débats qu'elle a suscité.
EXTRAIT    L'influence politique des physiocrates favorisa la nomination de Pierre Poivre en tant qu'intendant de l'île Maurice en 1766. Poivre avait élaboré une approche conservationniste de l'environnement, conçu essentiellement comme un problème d'économie morale, à la manière caractéristique des physiocrates. Pour bien comprendre les fondements de l'économie morale environnementale qu'il défendait, il est nécessaire de considérer les antécédents de l'homme lui-même. Poivre avait été un prêtre jésuite par le passé et avait visité Maurice une première fois dans les années 1740. Il se servit ensuite de l'île comme base pour une série d'expéditions en vue de collecter des spécimens de plantes à épices provenant des îles Moluques. Une partie primordiale de cette opération consista a essayer de transplanter des variétés d'épices importées sur le sol mauricien. Cela amena directement Poivre à s'intéresser aux conditions du sol, à son humidité, aux niveaux de la nappe phréatique, et à l'avantage de maintenir une importante couverture forestière protectrice, afin que l'agriculture puisse prospérer sur l'île. Il était devenu particulièrement admiratif des tentatives des Néerlandais au Cap pour prévenir l'érosion du sol et planter des ceintures d'arbres.

   Poivre devint très critique à l'égard de ce qu'il considérait comme l'abattage excessif et destructeur d'arbres sur Maurice, soutenant que l'absence de contrôle contrastait sérieusement avec les pratiques néerlandaises au Cap. En outre, pendant une période de détention à Canton, il s'était familiarisé avec les méthodes horticoles chinoises. Plus tard, à Pondichéry et à Malabar, il découvrit les techniques indiennes indigènes d'irrigation et de plantation d'arbres, auxquelles il se réfère abondamment dans ses écrits. Son retour en France coïncida avec l'affirmation de la figure de l'agronome et une époque où la science des Lumières connaissait une activité intense. Après son arrivée, il compléta son savoir inégalé sur les usages tropicaux des sols par une étude approfondie de la littérature scientifique et de voyage sur les Amériques, dans laquelle il rencontra probablement pour la première fois les théories de la dessication. De manière significative, nombre de ses écrits durant cette période contenaient des critiques cinglantes de la façon dont les Européens traitaient les peuples autochtones aux Amériques, et ses discours importants sur les pratiques foncières et l'agriculture tropicales condamnaient avec virulence les méthodes coloniales d'utilisation des terres. Ces critiques attirèrent rapidement l'attention du cercle politique physiocratique autour du duc de Choiseul, participant lui-même étroitement à la réflexion physiocratique et attiré par une philosophie attachant beaucoup d'importance à l'idée d'une supériorité morale de l'agriculture vis-à-vis de la prospérité financière, et aux avantages de l'agriculture scientifique par rapport à la poursuite du profit à court terme. Le duc de Choiseul estima cependant qu'il lui était politiquement impossible d'affirmer son zèle physiocratique réformateur de façon substantielle en France, alors il se tourna de plus en plus vers les colonies dans l'espoir d'appliquer ses idéaux réformateurs, comme le fit lord Dalhousie en Inde au siècle suivant.

Les îles du Paradis : l'invention de l'écologie aux colonies, 1660-1854, pp. 41-43
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Conserving Eden : the (European) East India Companies and their environmental policies on St. Helena, Mauritius and in Western India, 1660 to 1854 », Comparative Studies in Society and History, Vol. 35, N° 2, April 1993 (pp. 318-351)
  •  Green imperialism : colonial expansion, tropical island edens and the origins of environmentalism, 1600-1860 », Cambridge : Cambridge university press (Studies in environment and history), 1996

mise-à-jour : 10 février 2014
   ACCUEIL
   BIBLIOTHÈQUE INSULAIRE
   LETTRES DES ÎLES
   ALBUM : IMAGES DES ÎLES
   ÉVÉNEMENTS

   OPINIONS

   CONTACT


ÉDITEURS
PRESSE
BLOGS
SALONS ET PRIX