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EXTRAIT

Malgré le froid et le déluge que nous subissons, cette remontée est un enchantement, et je la parcours avec une joie sans limite : c'est bien cela que je suis venu chercher, ces excès dans le paysage, ces scènes que bien peu ont vues. Autour de moi tout chante la puissance souveraine de l'eau, le lac, les cascades, les névés suspendus, la pluie, mes vêtements trempés, la brume, tout se mêle, se confond, déborde, dans une fantaisie baroque hallucinée. ☐ p. 54

Les notes de ce carnet […] préserveront quelques éclats, des Mont-Saint-Michel isolés pendant que montera, jour après jour, inexorable et souveraine, la marée qui engloutit tout et ne connaît pas de jusant. Contre notre volonté, elle effacera l'essentiel, la continuité de l'effort et des jours, et ne laissera subsister que des instants choisis, décousus. Faute de mieux, nous les chérirons, mais avec la conscience de tout ce qui manque entre eux, les réunit, et a forgé notre périple. Et même … même ceux qui m'entendront raconter, comme ceux qui plus tard liront ce livre ne percevront que quelques aspects, épurés, retravaillés, partiels. De l'expérience entière telle que je l'ai vécue, ils ne sauront rien et ne pourront rien savoir. […] Ce qui s'est passé pendant ces vingt-cinq jours est insusceptible de transmission. L'alambic du souvenir est un leurre. Dès demain, quoi que je fasse, je commencerai à être infidèle à notre traversée. ☐ pp. 267-268