Le
maître de la Désolation : 35 ans aux
îles Kerguelen
(1860-1895) / Joseph J. Fuller ; trad. de l'anglais par
Lucette
Laurent Bousquet ; préface de Jean-Claude
Hureau ;
introduction de Jean-Claude Bousquet. - Paris : Ginkgo, 2009.
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414 p. : ill., cartes ; 20 cm.
ISBN
978-2-84679-068-0
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… l'île
Kerguelen, mon vieux repaire.
☐ Joseph J. Fuller, Le
naufrage de la Pilot's Bride, p. 214 |
Entre
1859 et 1895, Joseph J. Fuller fit treize campagnes de chasse
à
la baleine, à l'éléphant de mer et
à
l'otarie dans l'océan Indien du Sud dont neuf comme
capitaine.
Il hanta ainsi les parages des îles Kerguelen, Heard et
Crozet
durant une trentaine d'années. Mises à part deux
ou trois
expéditions plus courtes, la plupart de ces campagnes
duraient
couramment deux années, voire trois. Son domaine de
prédilection était évidemment les
îles
Kerguelen : si l'on devait mettre bout à bout ses
multiples
séjours, on pourrait estimer qu'il y séjourna
vingt ans
sans discontinuer.
☐
Jean-Claude
Bousquet,
Introduction,
p. 22
Rares
sont les récits de première main sur la
pêche dans
les mers australes. Les mémoires de Joseph Fuller
méritent donc de retenir l'attention : les
très
rudes conditions de vie et de travail dans les mers australes y sont
relatées directement et sans artifice par un acteur de
premier
plan, au seul prix de quelques défaillances de
mémoire
sans grande portée.
Joseph
Fuller donne à voir les
conditions de navigation et de travail sur une
goélette baleinière, la vie sociale à
bord et ses
tensions permanentes, les caractéristiques d'un
environnement
majestueux et hostile. Au cours de la huitième campagne, une
fortune de mer vient à bout de la Pilot's Bride qui
se fracasse sur les justement nommés Rochers du
Désespoir. Du 2 octobre 1881 au 11 septembre 1882
l'équipage survivra réfugié sur la
grève de
l'île principale ; les pires dangers de cette
robinsonnade
collective viendront des hommes et non des
éléments.
Mais
dans ce monde où le risque est toujours présent
et
où la moindre inattention peut entraîner la mort,
les
instants de grâce ne manquent pas — comme ce lever
de
soleil qui fascine l'auteur et ses compagnons alors qu'ils entament une
marche éprouvante pour rejoindre leur campement
après
avoir déposé un message de détresse
dans un
mouillage fréquenté par les pêcheurs
familiers de
l'archipel.
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EXTRAIT |
Le lendemain matin, nous étions debout avant le
lever du
jour : notre petit déjeuner était
déjà
prêt et nous le prîmes à la lueur du
feu. L'aube
était splendide, pas un seul nuage dans le ciel. Notre petit
déjeuner terminé, nous emballâmes nos
affaires en
un paquet aussi petit qu'une boussole : nous étions
alors
prêts à entreprendre notre voyage de retour.
Après
avoir emballé nos affaires, nous retournâmes le
canot de
manière qu'il repose bien sur le sol. Nous
plaçâmes
le reste de pain et de porc sous l'avant, puis nous
remblayâmes
tout autour avec de lourdes mottes de terre pour empêcher que
le
vent ne passe sous le canot et ne l'envoie voler au loin. Puis nous
recouvrîmes le fond avec du gazon léger pour
empêcher le soleil de le dessécher. Dès
que nous
eûmes fini de calfeutrer le canot, chacun enleva ses bottes
et
enfila des mocassins pour marcher ; nous fîmes un
paquet de
nos couvertures et nous les attachâmes avec nos
vêtements
de rechange sur nos épaules comme un havresac avec nos
bottes
suspendues de chaque côté. Quand tout fut
paré
comme nous le voulions, nous commençâmes notre
périple de trente ou quarante milles.
Dès que nous eûmes atteint les collines
basses, nous
eûmes une vue splendide. Alors que nous arrivions sur l'une
d'elles, située à la base de la montagne, le
soleil
sortait tout juste du fond de l'océan, en jetant ses
éclats d'or sur la mer, sur la montagne et la
vallée. Ce
fut un grand spectacle. Nous pouvions voir, tout autour de nous,
jusqu'à quanrante milles sauf dans la direction nord-ouest
où la montagne nous cachait la vue. Là-bas
s'étendait la baie Shoal Water et tout autour, sur plusieurs
milles, la grande plaine basse avec ses centaines de lacs :
les
rayons du soleil qui frappaient les lacs et ce bon vieil
océan,
les faisaient ressembler à de l'or finement poli. Je pouvais
presque imaginer pouvoir entendre le beuglement du bétail et
le
bourdonnement d'une voix humaine. Je me suis tenu là, deux
ou
trois minutes, fasciné, car ce spectacle était
quelque
chose que jamais, je ne m'attendais à voir à
l'île
Kerguelen et que je ne reverrais jamais. Le charme fut rompu par
Carroll qui disait : « Oh ! Quelle
vue splendide
— que donneraient certains pour voir
ça ? »
« Oui,
Carroll, et ils devraient faire la moitié du tour du Monde
pour
jeter un seul regard à cela. Carroll, pourquoi ne suis-je
pas un
artiste ? » Mais allons-y, on pourra
regarder en
marchant, le lever du soleil. »
Après
un dernier regard, nous reprîmes notre route en serpentant
entre
des chaos irréguliers de roche volcanique.
☐ Le
naufrage de la Pilot's Bride, pp. 259-260 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Joseph
J. Fuller, « Master of Desolation : the
reminiscences
of captain Joseph J. Fuller » ed. with introd. and
notes by
Briton Cooper Busch, Mystic (Conn.) : Mystic seaport museum,
1980
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mise-à-jour : 2
juillet 2011 |
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