La
mer / Bernhard Kellermann ; traduit de l'allemand par
Flora-Louise
Cellier. - Baye : La Digitale, 2007. -
189 p. ;
22 cm.
ISBN
978-2-903383-80-0
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Nous
avions tout ce que le cœur peut désirer.
Nous avions des femmes à foison, nous avions à
boire, nous avions des tempêtes qui tourbillonnaient
à une vitesse de quatre-vingt nœuds.
Nous n'avions besoin de rien : merci, passez votre
chemin …
☐ Incipit,
p. 7 |
PIERRE MAC ORLAN |
Des
hommes comme André Savignon et Kellermann l'Allemand qui
vécurent sur l'île l'ornèrent de deux
monuments
impérissables : La Mer,
chef-d'œuvre de Kellermann et les Filles
de la pluie, ce livre si mélancolique
dont il ne faut pas parler dans l'île.
☐ « Brest »,
p. 56 |
JACQUES
BUREL |
Méheut
[...] m'avait conseillé de prendre des notes pour illustrer La Mer de
Kellermann. Lui-même avait déjà
illustré Filles
de la Pluie et le bouquin, hélas, demeura
toujours trop cher pour ma bourse.
Mais
lorsque Cécile Masson, patronne de L'Océan m'eut
fait
cadeau du livre contre une gouache, je me trouvai dans une situation
morale difficile. J'avais avalé La Mer
— si j'ose dire — d'une seule
traite. Le livre
fourmillait d'images, de bruits, d'odeurs et rien n'y était
dit
qui ne fût de toute évidence
éprouvé sur
place. La magie du verbe y joue pleinement et chacun recrée
images, sons et parfums pour lui-même. Vous ouvrez
à
n'importe quelle page et vous êtes à Ouessant, le
vent
vous empoigne, la mer tonne à Pern et vous oubliez tout le
reste. Le temps a disparu ! Illustrer un tel bouquin
était
un sacrilège. Nul n'avait, me dis-je, le droit de
déposer
des images au pied de ses paragraphes, d'imposer sa vision aux autres,
d'appauvrir l'œuvre et de la déflorer.
☐
« Ouessant, vie et tradition d'une
île bretonne », p. 16 |
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Le
texte de Kellermann est rude, abrupt parfois, en accord avec la langue
des Ouessantins auprès desquels il a passé
plusieurs mois entre été et automne
1907. La Mer
témoigne d'une approche fraternelle du
monde îlien. Georges Sautreau a eu le mérite de
faire
connaître l'œuvre aux lecteurs français
— au prix parfois d'une certaine distance,
surtout
perceptible dans les dialogues où il use d'un style plus
lisse,
plus littéraire que celui de l'original. Flora-Louise
Cellier
s'est efforcée de suivre au
plus près son prédécesseur en
intervenant avec
discrétion dans l'unique souci de restituer les
aspérités du texte allemand où se
reflètent
fidèlement un cadre et un mode de vie exaltants mais
âpres.
La
postface résume le parcours de l'auteur, précise
les
circonstances de son séjour à Ouessant et
évoque
une vie bouleversée par deux conflits
dévastateurs : “ Kellermann témoin de deux
désastres pense
que même la littérature est impuissante, la vie
lui est
devenue impossible, désespéré, malade,
il se donne
la mort le 17 octobre 1951, laissant inachevée son
œuvre
littéraire. Comme [il] était
député
à l'Est, il n'était pas
édité à
l'Ouest et après la chute du Mur en
1989 … a
sombré dans l'oubli. ”
— Deux ou trois choses sur
Bernhard Kellermann,
p. 189.
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EXTRAIT |
Puis vinrent les grandes tempêtes, et
tout changea. Ce fut la faute des grandes
tempêtes …
Un
matin je m'éveillai avec un sentiment de
détresse.
J'avais peine à respirer. Je sortis pour voir si par hasard
le
ciel n'était pas descendu à hauteur d'homme et si
ce
n'était pas lui qui pesait sur l'île. Tout
était
calme. Les herbes, la mer, l'air. Sur la mer traînait le long
nuage de fumée d'un vapeur qui était
déjà
disparu, et ce nuage de fumée aussi restait immobile. Un
ciel
gris, sénile, laissait tomber son regard sur la terre.
Où
était passée la vie ?
Une
heure plus tard tout changea. Les mouettes furent les
premières
à pressentir la fête. Elles décrivaient
de vastes
cercles rapides, le ventre à fleur d'eau, et criaient
sauvagement. A l'horizon s'éleva un banc de nuages ternes,
plombés, mais très vite, comme s'il sortait d'une
trappe,
et à mesure qu'il croissait, il devenait de plus en plus
sombre,
presque noir. Des haillons blanchâtres de nuages verticaux
volaient devant lui. La mer devint sinistre et se fronça
comme
le front d'une bête sauvage qui perd patience. Les ailes des
mouettes rapides voletaient, d'un blanc de craie, devant le nuage
sombre. Les hirondelles de mer faisaient des lignes zigzagantes autour
des rochers, roucoulant et tintinabulant. Sur un récif un
héron cendré regardait le large et de temps
à
autre il battait des ailes.
Mon
cœur battait à grands coups.
Soudain
un coup de vent passa sur nous en sifflant et l'île fut
enveloppée d'un énorme nuage de
poussière, comme
si elle s'évaporait en fumée. Les herbes se
couchèrent à plat sur le sol, des grains de
pierre
vrombissaient en l'air. C'était Elle …
Quel
était ce chant, de par tous les dieux ?
C'était la
chanson du chaos, alors qu'il n'y avait encore rien que l'eau noire et
la pierre nue. C'était le chant de bataille des
Géants
primitifs qui luttaient pour la possession de la terre et de la mer, et
qui s'entr'écrasaient …
La
mer grondait sourdement, les récifs cornaient, et le vacarme
se
fondait en un mugissement caverneux et bourdonnant qui
ébranlait
tout. L'air tourbillonnait, l'atmosphère
frémissait ; l'air ronflait comme un gigantesque
ventilateur, vous arrachait la chair des os, tiraillait les
paupières et les lèvres, vous retournait les
oreilles et
vous pliait le nez selon son bon plaisir.
☐
pp. 81-82 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Das
Meer », Berlin : S. Fischer, 1910
- « La
mer » trad. Georges Sautreau, Paris :
Flammarion, 1924 ; Baye : La Digitale, 1993
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- Yvon
Le Gallo, « Un allemand à Ouessant, ou la
mystique de la mer chez Bernhard Kellermann »,
Bulletin de la Sté archéologique du
Finistère, tome CXXVIII, 1999
- Noël
Spéranze, « Bernhard Kellermann et
Ouessant », Les Cahiers de l'Iroise, avril-juin 1961
- Noël
Spéranze, « Bernhard Kellermann et la
légende ouessantine », Les Cahiers de
l'Iroise, avril-juin 1966
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mise-à-jour : 4
août 2011 |
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