Les Œuvres
complètes de Sally Mara / Raymond Queneau. -
Paris : Gallimard, 1993. - 360 p. ;
19 cm. - (L'imaginaire, 48).
ISBN 2-07-028752-1
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NOTE
DE L'ÉDITEUR : On
est toujours trop bon avec les femmes paraissait en 1947 sous
la signature de Sally Mara. Ce récit burlesque et un peu
salace d'une insurrection irlandaise 1
fut suivi d'un second ouvrage, en
1950, le Journal intime de Sally Mara. Mais les
mystifications littéraires n'ayant qu'un temps, on publia,
en 1962, Les Œuvres complètes de Sally
Mara sous la signature de Raymond Queneau.
1. |
Le
lundi de Pâques 1916, à Dublin, une insurrection
nationaliste irlandaise éclate. Sept rebelles prennent
possession du bureau de poste qui fait le coin de Sackville Street et
d'Eden Quay, le vident de ses occupants légaux et
soutiennent un
siège farouche contre les loyaux soldats de Sa
Majesté
britannique. Mais une jeune fille, Gertie Girdle, est
restée,
qui va poser de nombreux problèmes aux
assiégés
— et notamment celui-ci : parviendront-ils
à se
conduire correctement avec elle, en vrais gentlemen ? Ce n'est
qu'à ce prix qu'ils pourront, après leur mort,
être
considérés comme des héros
véritables. |
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PAUL-LOUIS
ROSSI
: Raymond Queneau […] a
écrit Les Œuvre complètes de
Sally Mara, du moins on le prétend. Sally, de
modeste famille, habite Dublin. Son père est parti un soir
acheter des allumettes, il n'est jamais revenu. La mère
prépare des harengs au gingembre et de la tarte aux algues.
Le frère boit du ouisqui. Sa sœur Mary Mara veut
devenir demoiselle des Postes. Sally apprend le français
avec Michel Presle — son professeur — et le
gaëlique avec un poète du nom de Padraic Baoghal.
Le gaëlique est une langue difficile : « Is
an deacair an teanga an
Gaedhilig … » La
deuxième partie du livre : « On
est toujours trop bon avec les femmes »,
évoque sur le mode burlesque
« L'Insurrection de la Pâques
1916 ». Le texte veut mélanger la verve
de Zazie dans le métro et celle du Baladin
du monde occidental, de J.M. Synge … On
peut aussi penser au Cuchulainn de W. B.
Yeats.
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« L'Ouest surnaturel : les
écrivains du bout des terres vers les
îles », Paris : Hatier
(Brèves, Littérature), 1993 (p. 127)
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ANNE
GALLAGHER : […]
L'Irlande
de Raymond Queneau est une Irlande surréaliste. Comme le dit
Durozoi en 1971 à propos du surréalisme,
« Tous les moyens sont bons pour ruiner les
idées de
famille, patrie et religion. » Dans l'Irlande
quenélienne, les insurgés massacrent, forniquent,
parlent
de déchiqueter les cadavres mais en même temps
prient
Dieu, Saint Patrick et la sainte Vierge et sont soucieux de garder leur
bonne réputation en matière sexuelle. Les
slogans, sortes
de supports linguistiques qui servent à renforcer les
idées et prises de position, sont souvent
dénués
de sens et de vérité. Finalement
« Dieu sauve
le Roi » n'a pas plus de sens que
« Finnegan's
Wake ».
Queneau n'a jamais caché l'influence
de Joyce sur son œuvre (…) il y fait allusion
à
maintes reprises. La fiancée d'un des insurgés,
Callinan,
est serveuse au Shelbourne, très probablement une allusion
à la femme de Joyce, Nora Barnacle, qui a
travaillé dans
des hôtels à Dublin.
Queneau a traduit de l'anglais Fiche Bliain ag Fás,
écrit
à l'origine en gaélique, le roman
autobiographique d'un
habitant des îles Blasket dans le comté de Kerry.
C'est un
ouvrage classique de la littérature irlandaise qui
décrit
la vie quotidienne des insulaires gaélicisants, pauvres et
souvent très isolés du monde. Le livre
évoque les
difficultés qu'éprouvent les insulaires
à
s'adapter à la vie du continent irlandais et à
s'intégrer à d'autres communautés. Les
problèmes linguistiques du pays étaient donc
connus de
Queneau ; ce dernier ne connaissait pas seulement l'Irlande de
Joyce qui se limite plus ou moins à la ville de Dublin, mais
également l'Irlande de Muiris Ó
Súilleabháin qui, à plusieurs
égards est
tout à fait son opposé.
L'existence de l'Irlande
du Nord a rajouté une autre dimension à cette
opposition
entre deux mondes, ce qui a conduit Queneau à
s'intéresser à ce pays de paradoxes qu'est
l'Irlande et
à y trouver un sujet propice au
démantèlement des
mythes L'Irlande, pays de deux races, de deux religions, de deux
traditions, et qui plus est, un pays où le rêve et
la
réalité se confondent souvent.
[…}
→
« L'Irlande un
état d'âme : représentations
du nationalisme irlandais chez Anatole Le
Braz, Michel Mohrt et Raymond Queneau », Études
irlandaises, 1997 | Vol. 22 | Numéro 1
[en
ligne]
|
ANNE
CADIN : […]
Le cas le plus frappant de trahison limitée du lecteur est
[…] celui de Queneau, chez qui l'écriture sous
pseudonyme
est outil ludique de création. L'adoption d'un double masque
(Sally Mara, jeune femme irlandaise, et Michel Presle, son traducteur)
est un cas unique dans son œuvre. Au moment où il
écrit On est
toujours trop bon avec les femmes,
il est déjà connu et respecté. Tout le
monde
savait que Queneau et Sally Mara n'étaient qu'une seule et
même personne, il est difficile de parler de trahison. En
outre,
Queneau est prudent […] il ne se présente pas
comme le
traducteur du texte, et la préface du roman est
signée
Michel Presle. Les contemporains ont donc oublié le roman,
mais
aussi le fait que Queneau était Sally Mara. C'est Queneau
qui,
en 1962, refera parler de ces écrits en composant un
recueil,
signé de son nom, des Œuvres
complètes de Sally Mara. Il réunit
dans un ordre différent de celui de la chronologie des
premières publications Journal
intime (1950), On
est toujours trop bon avec les femmes (1947), Sally plus intime
(textes parus depuis 1944 sous le titre de Foutaises).
L'organisation de ce volume est le signe que Queneau se
réapproprie ces textes et les considère comme une
partie
de son œuvre. Il propose même au lecteur une
préface
parodique et complexe, signée Sally Mara. Queneau est
présenté par l’Irlandaise comme celui
qui a tenu
à ce que le recueil Sally
plus intime soit publié :
Les
éditions Gallimard ont absolument tenu à joindre
cette
production, toute truffée de mots malséants,
à mes
deux œuvres authentiques. Un personnage attaché
à
cette maison, un certain Queneau (est-ce le même que
l’autre) m’a écrit :
“ Vous en
faites pas, des inédits c’est au poil pour faire
avaler
une réimpression, notre clientèle adore
ça ” et autres niaiseries ejusdem farinae.
Cette
prise de parole de Sally Mara redonne vie à cet auteur
imaginaire et confirme la vocation de jeu littéraire qui
habitait déjà On est toujours trop bon avec
les femmes :
Queneau avait choisi comme narratrice une femme, alors que le roman
noir est un genre masculin ; il gardait l'érotisme
et la
violence propre au hard-boiled, mais les détournait
grâce
à un humour omniprésent. Le roman
décrit
l’attaque du bureau de poste d’Eden Quay
à Dublin
par des “ Républicains irlandais en veine
d’insurrection ”.
[…]
→
« Les premiers romans noirs français :
simples
exercices de style ou trahisons littéraires
complexes ? », Trans
— Revue de littérature
générale et comparée, 2011 [en
ligne]
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HERVÉ
JAOUEN : On est
toujours trop bon avec les femmes
[…] un joyeux pastiche de série noire
à la Peter Cheyney, avec en prime
les jeux de mots de Raymond Queneau […] : Gertie,
employée de la poste
d'Eden Quay, est prise en otage par les insurgés et s'en
sortira grâce
à ses charmes de jeune fille britannique pas si pure que
cela.
[…]
À
la fameuse question : “ Peut-on rire de
tout ? ”
Raymond Queneau, grand amoureux de l'Irlande et traducteur de Vingt
ans de jeunesse de Maurice O'Sullivan,
répond dans Sally
plus intime : « Prends l'humour et tords-lui son
cul ».
☐
« À nos vertes
amours irlandaises (Journal d'Irlande 2008-2018) »,
Rennes : Ouest-France, 2019 (p. 217)
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- [Raymond
Queneau], « Foutaises », s.l. : s.n., 1944
- Sally
Mara, « On
est toujours trop bon avec les femmes » traduit de
l'irlandais par Michel Presle, Paris :
Éd. du Scorpion, 1947
- Sally
Mara, « Journal
intime »,
Paris : Éd. du Scorpion, 1950
|
- Raymond
Queneau, « On
est toujours trop bon avec les femmes » un roman
irlandais de Sally Mara traduit par Michel Presle, Paris :
Gallimard,
1971 ; Gallimard (Folio, 1312), 1988
- « Les
Œuvres complètes de Sally
Mara » [contient : On est
toujours trop bon avec les femmes, Le Journal intime de Sally Mara
et Sally plus intime (inédit)],
Paris : Gallimard, 1962 ; Gallimard (L'Imaginaire, 48), 1979
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On est toujours trop bon avec
les femmes
a été adapté au cinéma par
Michel Boisrond
(1971) ; le rôle de Gertie est
interprété par
Elisabeth Wiener.
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- Maurice
O'Sullivan, « Vingt
ans de jeunesse » trad. de l'anglais par
Raymond Queneau, Paris : Gallimard, 1936 ;
Rennes : Terre de brume, 1997
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mise-à-jour : 26
février 2020 |
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