Conor O'Callaghan

Personne ne nous verra

Sabine Wespieser

Paris, 2022

bibliothèque insulaire

   
Irlande
parutions 2022
Personne ne nous verra / Conor O'Callaghan ; trad. de l'anglais (Irlande) par Mona de Pracontal. - Paris : Sabine Wespieser, 2022. - 287 p. ; 19 cm.
ISBN 978-2-84805-444-5
“ La vraie vie est absente ” et, plus loin, “ Nous ne sommes pas au monde ” 1 … Paddy, le narrateur qui conduit un camion d'Angleterre vers le sud de la France, aimerait savoir ce qui l'interpelle dans ces deux phrases : “ Ça vient du même endroit, de la même source dont je n'arrive pas à me souvenir ” (pp. 136-137).

À chaque étape du parcours, sur des aires de stationnement, le monologue se poursuit laissant la place de temps à autre à la voix d'une jeune passagère — clandestine ? Les deux voix ébauchent alors le portrait fragmenté d'une famille à la dérive, à l'image de cette maison en Irlande, dont le nom — Tír na nÓg — promettait fièrement la jeunesse, et qui n'est plus source que de malentendus, de tensions, de désillusions, de rancœurs. Il y a enfin cet événement,
très furtivement évoqué, “ la chose dont nous ne parlons jamais ”.

Rugueux et chaotique, le dialogue entre Paddy et la jeune fille, ignore les convenances de langage les plus élémentaires. Phrases inachevées, ruptures de ton, questions sans réponses, réponses hors-sujet. Dans ce désordre s'épanouit une étroite connivence qui, au bout de la route, éclairera un dénouement … inéluctable et déroutant.
       
1.“ We are not in the world ” — c'est également le titre anglais du roman.
       
Né en 1968 en Irlande du Nord, Conor O'Callaghan a publié plusieurs recueil de poèmes en Irlande et aux Etats-Unis. Personne ne nous verra est son deuxième roman.
EXTRAIT Elle avait deux ans quand nous sommes partis de l'autre côté de l'Atlantique et devenus des gens solvables. Seize ans dans une banlieue de Long Island et elle n'avait pas chopé une bribe de l'accent nasal des autochtones. En fait, son accent serait plutôt parti dans l'autre direction. Elle affectait des consonnes ternes comme si elle était née au manoir. Elle a pris une posture punk d'adolescente dont elle ne s'est jamais complètement départie. Ses camarades de classe la croyaient britannique. Elle adorait ça, même si elle jouait les offensées.
Être d'ailleurs, c'était son originalité, avant la chose dont nous ne parlons jamais. Et puis, les fois où je l'ai emmenée au pays, ma fille adolescente s'est aperçue qu'elle avait un accent tout aussi étranger dans cet ailleurs dont elle était censée être originaire. Ça l'a tuée. Même notre petit jeu de conneries phatiques, à elle et moi, ne marchait pas là-bas. Pas vraiment. Elle a pris conscience qu'elle avait bâti toute une identité autour d'un ailleurs où, là non plus, elle n'avait pas sa place. Je voyais bien que ça la tuait.
Et est-ce qu'elle était ?
Qu'elle était quoi ?
Autiste.
Ah, nous y voilà.
Alors, dit-elle.
Si tu t'abstenais.
Notre mère était, il est vrai, coupée de tous les mondes à part le sien. Pendant la plus grande partie de sa vie adulte, mon père était le seul lien qui la rattachait à la réalité du quotidien. Quand il a rendu son dernier souffle, grâce à une embolie coronarienne à un feu rouge temporaire sur la route côtière, elle a paru heureuse de partir à la dérive. Nous — les deux fils qu'elle avait eus sur le tard —, on s'est retrouvés essentiellement livrés à nous-mêmes, à charge de trouver tout seuls ce qui pouvait bien exister comme monde extérieur.

pp. 63-64
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « We are not in the world », London : Doubleday, 2020
  • « Rien d'autre sur terre », Paris : Sabine Wespieser, 2019

mise-à-jour : 10 mars 2022
Conor O'Callaghan : Personne ne nous verra
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