Haïti, Dieu
seul me voit / Charles Najman. - Paris : Balland, 1995.
- 333 p. ; 22 cm. - (Le Nadir).
ISBN 2-7158-1077-6
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CHARLES NAJMAN : J'ai écrit un livre intitulé
Haïti, Dieu seul me voit, dans lequel j'ai tenté
de saisir plus profondément l'âme haïtienne
et ce rapport si singulier qu'entretiennent les Haïtiens
à leur passé. Dieu seul me voit est l'expression
qu'on emploie là-bas pour parler de la masturbation. Mais
ce titre, hommage à l'invention langagière haïtienne,
évoquait aussi pour moi cette espèce d'autarcie
haïtienne qui est, je crois, en partie entretenue inconsciemment
par les Haïtiens eux-mêmes.
A travers ce récit de
voyage, j'ai tenté de comprendre aussi une part de ma
propre histoire. C'est en allant, en effet, au plus loin que
l'on découvre parfois la dimension la plus intime de soi-même.
J'ai découvert en Haïti l'ombre portée de
mon identité juive qui est, selon moi, une tentative perpétuelle
de se voir du dehors ; une tendance à se démettre
de soi-même ; une volonté de se regarder avec
les yeux des autres ; un désir de se défaire
des liens terre-à-terre, de s'arracher aux choses tangibles ;
une propension à se créer d'autres espaces, à
rencontrer d'autres visages, d'autres pays ; une forme positive,
sinon joyeuse de l'errance.
En tant que fils de déportés
des camps de concentration, je me suis tout de suite senti en
affinité avec cette république fondée par
d'anciens déportés. Dès mon premier voyage
en Haïti, j'ai noué des complicités imaginaires
entre le destin juif et le destin haïtien. Les mêmes
légendes se retrouvent parfois fixées dans l'inconscient
des peuples persécutés. Ainsi les Juifs et les
Haïtiens, qui ont connu chacun la tragédie de l'esclavage,
ont produit au cours de leur histoire des mythes presque comparables.
Comme le zombi haïtien, le mythe du Golem
incarne le fantasme de l'homme transformé en automate,
asservi à un maître. Comme les juifs de Prague,
de Russie ou de Pologne survivaient autrefois dans le shtetl
avec l'énergie du désespoir et la force de la tradition,
les paysans haïtiens aujourd'hui s'élèvent
au-dessus des pesanteurs du quotidien par l'imaginaire. Ils s'entourent
de miracles et de mythes surprenants. A l'instar du dibbouk
juif, l'esprit du vaudou haïtien plane sur la vie de tous
les jours comme une ombre portée. C'est cet imaginaire
de l'exil, de la fuite, cette culture de la conjuration et de
la hantise qui, désormais, allait animer mon travail en
Haïti.
☐ “ Haïti intime,
les raisons d'un engagement ” (extrait), in A quoi
rêve Haïti ?, Africultures,
n° 58 (janvier-mars 2004) |
Après avoir écrit
pour plusieurs journaux et magazines, Charles Najman publie deux
livres, La police des images et Haïti, Dieu seul
me voit, pour lequel il a obtenu la bourse de la Villa Médicis.
Cinéaste, il a réalisé Le Serment du
Bois Caïman, Les illuminations de Madame Nerval (1999,
prix du festival du film ethnologique de Paris et grand prix
du festival international de Kalamata), puis Royal Bonbon,
premier long-métrage de fiction tourné en Haïti
avec des acteurs haïtiens (au nombre desquels Dominique
Batraville qui incarne le Roi Christophe) ; Royal
Bonbon a obtenu le prix Jean Vigo 2002, sélection
officielle au Festival international de Toronto et de Locarno.
Charles Najman est retourné en Haïti dans les derniers
temps du régime de Jean-Bertrand Aristide ; il y
a recueilli la matière de son dernier film, La fin
des chimères.
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- « Transe, sang, danse », in Vodou, sous la dir. de Jacques Hainard, Philippe Mathez et Olivier Schinz, Gollion : Infolio ; Genève : MEG, 2007
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mise-à-jour : 22 juillet 2016 |
Cinéaste
et écrivain, Charles Najman, né en 1956, est mort
à Bagnolet près de Paris le 18 juillet 2016. |
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