François Blancpain : Haïti et la République dominicaine, une question de frontières

MARCEL DORIGNY : […]

L'étude de François Blancpain a le grand mérite de replacer [la] question de la frontière au cœur de l'antagonisme latent entre les deux parties de la grande île, qui fut souvent source de violences et de guerres, jusqu'aux dramatiques massacres de ressortissants haïtiens en République dominicaine en 1937 et jusqu'aux polémiques contemporaines entre les deux États au sujet du sort réservé aux migrants haïtiens par-delà la frontière actuelle, qui pour être reconnue et fixée par un traité datant de 1929 (aboutissement de plusieurs décennies de « négociations préparatoires » …) n'en est pas pour autant inscrite dans les mêmes termes dans la réalité vivante des deux populations qui se partagent l'île depuis l'arrivée des Français au cours du XVII^e siècle.

[…]

L'étude de François Blancpain, fondée sur de vastes dépouillements d'achives met en évidence [une] étonnante cohabitation, reposant sur un flou juridique quant à la délimitation entre deux territoires qui se tournaient le dos et dont les « parties mitoyennes » n'offraient que peu d'intérêt économique […] et guère plus d'intérêt stratégique, la guerre se faisant avant tout sur mer ou sur les parties littorales des deux colonies.

Plus de deux siècles après que les deux parties de l'ancienne Hispaniola aient pris des voies radicalement divergentes, la question de leur frontière terrestre commune semble définitivement réglée. Mais, en fait, la « poussée haïtienne » vers l'est demeure une réalité tangible, par-dessus cette fameuse frontière si difficilement tracée et reconnue au fil d'une histoire complexe. Aujourd'hui l'ancienne partie française de l'île ne peut retenir sur son sol une partie croissante de sa population pauvre qui se tourne dès lors vers l'est, à l'économie plus dynamique. L'inversion des niveaux de développement entre les deux États héritiers des colonies française et espagnole, en faveur de la République dominicaine, souligne combien est grande l'illusion selon laquelle une frontière est garante contre les poussées humaines qui cherchent toujours à réduire les écarts entre zones d'extrême pauvreté et zones plus favorisées à un moment historique donné. Entre Haïti et la République dominicaine la frontière est certes stabilisée, mais les hommes continuent de lui refuser le rôle d'une barrière absolue. François Blancpain montre, à travers l'histoire d'une « frontière introuvable », qu'il en fut toujours ainsi depuis le partage colonial de l'île d'Hispaniola.

☐ Préface, pp. 15-17