Emeric Bergeaud

Stella

Zoé - Les Classiques du monde

Carouge-Genève, 2009

bibliothèque insulaire

   
Haïti
parutions 2009
Stella / Emeric Bergeaud ; préface d'Anne Marty ; préface de l'éd.originale (1859) par Beaubrun Ardouin. - Carouge-Genève : Zoé, 2009. - 253 p. ; 21 cm. - (Les Classiques du monde).
ISBN 978-2-88182-650-4
Ce texte est un manifeste, celui du roman haïtien dont il annonce les fluctuations.

Jean-Claude Fignolé

Stella, que l'o
n tient pour le premier roman haïtien, relate les parcours de deux demi-frères qui sortent de l'enfance à l'heure où le pays s'arme pour conquérir sa liberté : « leurs pensées (…) s'exaltèrent de tous les sentiments qui produisent l'indépendance » (p. 37). Romulus l'aîné, noir comme sa mère, est d'un caractère réservé, tandis que Rémus, le cadet mulâtre, a l'humeur ardente, expansive, belliqueuse. Romulus et Rémus vont, tour à tour, conjuguer ou opposer leurs efforts dans une quête d'indépendance et de liberté qu'incarnera Stella, jeune femme blanche allégorie de l'idéal révolutionnaire.

Aux yeux d'Emeric Bergeaud (1818-1858) la fiction romanesque n'était qu'un détour permettant d'élargir l'audience d'une chronique historique : « nous avons voulu simplement captiver, par l'attrait du roman, les esprits qui ne sauraient s'astreindre à l'étude approfondie de nos annales » (Avertissement, p. 19) ; pour Anne Marty, « cette concurrence entre l'Histoire et la fiction témoigne du registre tragique du discours romanesque haïtien 1 » (Préface, p. 15), et ouvre une voie que suivront nombre de romanciers durant tout le XXe siècle.

Stella met en scène la révolution de Saint-Domingue, ce « laborieux enfantement d'une société nouvelle » où s'illustrèrent « quatre hommes qui en personnifient les excès et la gloire : RIGAUD, TOUSSAINT, DESSALINES, PÉTION » (Avertissement, p. 19) ; le roman a été écrit plusieurs décennies après les faits, alors que la jeune république se débattait face à l'hostilité des grandes puissances et se déchirait intérieurement — au point qu'Emeric Bergeaud avait été contraint de s'exiler sur l'île de Saint-Thomas. « Quel contraste entre le rêve entretenu par le récit de la fantastique épopée et la réalité vécue par l'auteur au jour le jour » (Anne Marty, Préface, p. 9).

Demeure un message d'espérance qui, aujourd'hui, n'a rien perdu de son urgence.
       
1. Cf. Jean Jonassaint, « Des romans de tradition haïtienne : sur un récit tragique », Paris : L'Harmattan, Montréal : CIDIHCA, 2002.
EXTRAIT    Le peuple d'Haïti est plein de jeunesse et de sève. Il est constitué pour la durée : nous le croyons ; tant de vitalité ne lui a pas été donnée en vain. Il habite le plus beau pays qu'éclaire le soleil. Comme dans le jardin délicieux où fut placé le premier homme, il lui suffit d'avancer la main pour cueillir le fruit que la terre lui offre d'elle-même. Ainsi jeune, vigoureux, abondamment pourvu des choses nécessaires à l'existence, il peut plus aisément que beaucoup d'autres acquérir ces richesses intellectuelles qui seulent comptent dans l'aristocratie des nations. Pour jouir d'un bonheur digne d'envie, les Haïtiens n'ont qu'à le vouloir ; et pourquoi ne le voudraient-ils pas ? Ils savent qu'on n'est réellement heureux que par l'âme, fort que par l'intelligence, et que ces facultés sublimes ne se développent qu'au contact de la civilisation.

   La civilisation n'est pas exclusive ; elle attire au lieu de repousser. C'est par elle que doit s'opérer l'alliance du genre humain. Grâce à sa toute puissante influence, il n'y aura bientôt sur la terre ni noirs, ni blancs, ni jaunes, ni Africains, ni Européens, ni Asiatiques, ni Américains : il y aura des frères. Elle poursuit de ses lumières la barbarie qui se cache. Partout où celle-ci, de sa voix mourante, conseille la guerre, la civilisation prêche la paix ; et quand retentit le mot haine, elle répond amour. Notre pays n'est pas étranger aux idées progressives du siècle. Dieu lui crie : marche ! et, dans sa pénible ascension, nos vœux sincères l'accompagnent.

p. 248
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Stella » avec un avertissement de l'auteur et une préface de Beaubrun Ardouin, Paris : E. Dentu, 1859
  • « Stella » avec un avertissement de l'auteur, Paris : E. Dentu, 1887
  • « Stella, the epic saga of the Haitian Revolution » translated by Adriana Umaña Hossman, Princeton (N.J.) : Markus Wiener, 2014
  • « Stella, a novel of the Haitian Revolution » edited and translated by Lesley S. Curtis and Christen Mucher, New York : New York university pres, 2015
→ Christiane Ndiaye, « Stella d'Emeric Bergeaud : une écriture épique de l'histoire » in Caraïbe et océan Indien : questions d'histoire, sous la dir. de Véronique Bonnet, Guillaume Bridet et Yolaine Parisot, Paris : L'Harmattan (Itinéraires, 2009/2), 2009, pp. 19-31 [en ligne]
Sur le site « île en île » : dossier Emeric Bergeaud

mise-à-jour : 9 mai 2018

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