L'ange de charbon / Dominique Batraville. - Paris : Zulma, 2014. - 174 p. ; 19 cm. ISBN 978-2-84304-693-3
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Dominique
Batraville a participé
au 6e Salon du Livre
Insulaire (Ouessant, 19-22 août 2004)
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Le séisme du 12 janvier 2010 n'a pas fini de frapper. Dans l'île à l'oublieuse mémoire
— qui, pourtant, sait la rude expérience des
sinistres, naturels ou humains —, à Port-au-Prince en
particulier, les ruines en attente de déblayage
témoignent et, surtout, l'absence des disparus, la
stupeur des rescapés. Autant d'occasions de répliques dont les effets marquent la vie jour après jour.
Le
cantique halluciné de Dominique Batraville scande d'un
même élan la déploration et l'attente, mêle
ce qui a disparu dans le choc du Mardi des douleurs
à ce qui doit renaître : « L'eau viendra.
La nourriture aussi. Les vêtements de rechange (…)
Nous devons conjurer le malheur » (p. 48).
Que
répondre à la violence puis à
l'effondrement ? Passées la peur et la sidération
— « Frayeur. Craintes et
grelottements ! » — Dominique Batraville
parcourt la ville, renoue avec sa mémoire, et chante la vie
passée, celle qu'il faut aider à renaître, ses
amours d'hier, les appétits qui couvent, les poètes de
toujours, Carl Brouard, Davertige, Frankétienne.
« Ma
ville se meurt, gît dans son sang. Ma ville-mouroir. Je
reviendrai un jour réveiller tes métamorphoses. Mes
galops d'avant-jour seront plus puissants que jamais. Je dresserai la
porte principale du soleil à la baie de Port-au-Prince. Qui
vivra verra. » (p. 174)
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EXTRAITS |
Trente-cinq
secondes de bruit de chevaux sortis des entrailles de la terre, je me
prenais moi-même pour le cinquième cheval des Atlantes.
J'entendis une voix qui déchira les cieux : terre, terre,
terre, sachez qu'avec mes six mille ans, je suis ancien. Je domine la
terre et l'océan. Ce fut un long silence, un bal de
poussière. Un moine du Sacré-Cœur de Turgeau,
église mise à terre à la trente-sixième
seconde, me regarda droit dans les yeux et me lança d'une voix
nasillarde sa douce incantation : Dies iræ, dies illa. Jour de colère que celui-là.
☐ p. 61 |
Monsieur Richter, je dois te dire tout haut : Mec, t'es pas
sérieux. Ce n'est pas ça la vie. Je viens de traverser le
Champ-des-Prés, c'est chaos total ! Les meilleures filles
de joie de la place des Pères de la Patrie sont fauchées.
Toute une partie de ma jeunesse s'en est allée ! Caroline
Victor, demoiselle de dix-huit ans qui m'avait donné en cadeau
un jour de Saint-Valentin les œuvres complètes du
poète Carl Brouard en marque de son amour pour moi,
fidèle client, occupera toujours une place dans mes songes
à venir. C'est comme si je venais de perdre une épouse,
voire une sainte protectrice. Elle m'a appris beaucoup de la vie. Elle
m'a offert des moments forts, avec elle, en elle, dans des eaux douces
comme salées. Mesdames, messieurs, il n'est point facile
d'oublier une juste port-au-princienne.
☐ pp. 67-68 | La
blesse, ça recommence avec ces répliques qui n'en finissent pas. Un tel
est mort, madame tombe en syncope, la ville se meurt. Goudou goudou
goudou … Encore la bête, encore une grouillade de la terre, encore un
coup de sang, et puis une autre secousse. Mais qui ressent ce coup de
pirouette ?
Tu le ressens ? Oui je l'ai senti. À quelle heure ça s'est passé ? Je ne m'en souviens plus. Il était fort ou faible ? La table avait bougé et j'entendais les chiens aboyer. Où est-ce qu'il t'a surpris ? À Paris-Lupanar, dans un quartier peuplé de belles de nuit. On était dix gaillards sirotant du Barbancourt.
☐ p. 99 |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Boulpik »,
Port-au-Prince : Éd. Choucoune, 1978
- « Pétition
au soleil », Port-au-Prince : Éd. Choucoune,
1979
- « Papye Kreyol »,
Port-au-Prince : Éd. des Antilles, 1990
- « L'Arbre qui saigne »,
1997 (Anthologie des nouvelles primées au Concours Jacques
Stephen Alexis)
- « Kantik devanjou »,
1998 (Revue Mémoire et oralité, traduit en espagnol
par Anna Kovak, primé à Cuba en 1998)
- « La fête du
cerf-volant », Port-au-Prince : Éd. Deschamps,
1998 (Conte)
- « Fanm klete »
(pièce jouée en Martinique en 1998)
- « Bolèt 50
15 10 » (pièce jouée en Martinique en
1998)
- « Le Nègre
et la rose de l'Auberge » (pièce jouée
en Haiti en 2001)
- « Grammaire des îles », Port-au-Prince : Éd. Bois d'orme, 2002
- « L'Ouverture »,
Ivry-sur-Seine : Éd. A3, 2004
- « Le récitant zen », New York : Rivarticollection, 2006
- « Pòtre van sèvolan », Port-au-Prince : Presses nationales d'Haïti, 2008
- « L'archipel des hommes sans os », Paris : Riveneuve, 2012
| - Gerry L'Etang et Dominique Batraville, « Fillette Lalo », Paris : HC éditions, 2018
| Sur le site « île en île » : dossier Dominique Batraville |
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mise-à-jour : 14 mai 2019 |
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