Patrick Vauday

La décolonisation du tableau : art et politique au XIXe siècle, Delacroix, Gauguin, Monet

Seuil - La Couleur des idées

Paris, 2006

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peintres des îles

Gauguin

parutions 2006

La décolonisation du tableau : art et politique au XIXe siècle, Delacroix, Gauguin, Monet / Patrick Vauday. - Paris : Seuil, 2006. - 169 p.-[4] p. de pl. : ill. ; 21 cm. - (La Couleur des idées).
ISBN 2-02-089617-6

« La peinture orientaliste a-t-elle été une fenêtre ouverte sur le monde oriental ou un simple trompe-l'œil destiné à donner un semblant d'incarnation aux rêves occidentaux sur l'Orient ? » 1

Patrick Vauday 2 propose sur ce thème une réflexion qui éclaire l'arrière-plan et les ressorts mis en œuvre ; pour ce faire il explore et compare les parcours de trois peintres 3 qui, au XIXe siècle, ont cherché hors d'Europe les voies et les moyens d'un renouvellement — motifs, techniques et, au-delà, pourquoi pas ? une révolution du regard 4. Or le XIXe siècle est marqué par la généralisation de l'entreprise coloniale ; celle-ci aurait-elle contaminé la démarche des peintres en quête d'ailleurs ?

Le soupçon n'a pas manqué d'être formulé à l'encontre de Gauguin : Bengt Danielsson 5 le premier a dressé le portrait d'un artiste moins révolté que serviteur de la France colonisatrice. Patrick Vauday conteste fermement ce jugement ; opposant l'analyse d'un philosophe de l'image au prétendu constat de l'historien il inverse la perspective : « on peut parler à propos de son œuvre de " décolonisation " de l'espace représentatif occidental » 6.

1.Introduction, pp. 8-9  
2.Patrick Vauday est maître de conférence en philosophie à l'université Paris 9-Dauphine et directeur de programme au Collège international de philosophie. Ses travaux portent essentiellement sur l'esthétique et la politique des images. Il est notamment l'auteur de La Matière des images (L'Harmattan, 2001) et de La Peinture et l'image (Pleins Feux, 2002).
3.Delacroix (Algérie), Gauguin (Polynésie), Monet (Japon).
4.Introduction, p. 8
5.Bengt Danielsson, « Gauguin à Tahiti et aux îles Marquises », Papeete : Éd. du Pacifique, 1975
6.Conclusion, p. 166
EXTRAIT

L'art de Gauguin sera donc l' « enfance retrouvée » dont parlait Baudelaire ; il en recréera la jouvence dans la diversité des arts « primitifs », à partir d'une tradition européenne forte mais venue à épuisement. Gauguin est probablement l'un des premiers artistes à pratiquer le « musée imaginaire » théorisé par Malraux. Absorbant les influences d'arts profondément étrangers à la tradition européenne, ajoutant à la fréquentation des musées et de l'Exposition universelle l'usage de la reproduction photographique (...) il institue une sorte de musée universel dans lequel toutes les traditions artistiques sont égales et libres, par artistes interposés, d'inventer de nouveaux rapports. À l'envers des musées officiels qui prennent soin d'historiser, de classer et de hiérarchiser, de distinguer entre l'art primitif et l'art civilisé, d'opposer l'art au non-art des peuples inférieurs, et c'est bien pour cela qu'ils ont besoin d'être colonisés, Gauguin invente un musée décolonisé. Que ce retournement ait eu pour condition, non seulement la colonisation et son pillage mais encore l'ouverture en Europe même de l'art aux arts et traditions populaires, ne doit pourtant pas occulter ce qu'il représente : une révolte contre le monopole européen de la représentation dans les arts et une authentique ouverture à des traditions artistiques hétérogènes, moins pour les respecter et les tenir à distance du savoir ethnologique ou de la curiosité folklorique que, ce qui vaut hommage, pour les utiliser et, pourquoi pas, les voler, ainsi que Pissarro en fit sévèrement le reproche à Gauguin, et les détourner au profit de son art. Sa dignité aura été d'emprunter à ceux-là mêmes auxquels le colonisateur prétendait tout apporter, et bien plus que de simples motifs exotiques destinés à ne rien changer d'essentiel ; et de reconnaître sa dette en la faisant prospérer dans sa peinture comme dans ses écrits.

Une déterritorialisation de la peinture : Gauguin, pp. 96-97

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Gauguin, voyage au bout de la peinture », Louvain-la-Neuve : Academia Bruylant (Sefar, 1), 2010

mise-à-jour : 21 janvier 2014

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