EXTRAIT |
À l'étonnement
général, le 21 janvier 1818 [Friedrich] épouse
Caroline Bommer […] de très jeune âge. Ils partiront
en voyage de noces à Greifswald et à l'île
de Rügen, au milieu des paysages de sa jeunesse, ceux mêmes
qui lui apportaient réconfort et lui servaient de source
d'inspiration.
Comme le rappellera Carus, la
vie de Friedrich ne change pas en profondeur, mais, en revanche,
ses thèmes connaissent un renouveau remarquable, avec
l'introduction de la figure féminine, si neuve chez lui
et apportant de nouvelles dimensions formelles et affectives.
Peu après son retour à Dresde, Friedrich exécute
Sur le voilier (1818-1819), une lumineuse et singulière
toile pour laquelle il utilise des dessins confiés à
son album de voyage.
[…]
Le plaisir de la promenade contemplative,
un étonnement bourgeois et citadin face aux couleurs de
la mer et aux falaises édentées, voilà les
sentiments qui émergent au premier regard de la très
savante et moderne composition de Friedrich intitulée
Falaises de craie sur l'île de Rügen
(1818). Depuis longtemps, depuis sa jeunesse, le peintre arpente
l'île dans tous les sens pénétrant progressivement
les charmes et la lenteur des pays du Nord. Il
en emporte des croquis qui lui serviront pour tel ou tel
autre détail d'une grande toile, toujours convaincu que
seule la réflexion dans la pénombre de son atelier
sera porteuse de découvertes spirituelles.
[…]
Caroline Bommer, coquettement
habillée, se trouve sur la gauche de la composition ;
elle s'agrippe à un fragile arbuste, en désignant
d'un geste de la main tout ensemble des fleurs rouges et l'abîme
qui s'ouvre devant elle. Isolé, allongé sur le
bord du précipice, Friedrich, chapeau et bâton posés
par terre, semble irrésistiblement attiré par la
vue de la partie inférieure des rochers, crayeux et blancs.
Un autre personnage, sur la droite de la scène, n'est
pas identifié ; son attitude est d'intense contemplation,
les bras croisés et les pieds sur le bord du gouffre.
Il nous renvoie vers les lointains, vers le départ des
bateaux, qui est dans l'œuvre de Friedrich le symbole des âmes
qui se dirigent vers l'éternité.
☐ pp. 153-164
|