Le bruit de la mer / Franck
Maubert. - Paris : Flammarion, 2020; -
246 P. ; 21 cm.
ISBN 978-2-0814-8150-3
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Dans
un temps donné la configuration d’une
île change.
Une île est une construction de
l’océan. La
matière est éternelle, non l’aspect.
Tout sur
la terre est perpétuellement pétri par
la mort,
même les monuments extrahumains, même le granit.
Tout se
déforme, même l’informe. Les
édifices de la
mer s’écroulent comme les autres.
☐ Victor
Hugo, L'Archipel de la
Manche, Ch. XX — cité
p. 241 |
Le cabotage terrestre
de Franck Maubert 1
suit un itinéraire brisé le long des
côtes françaises 2
de la mer du Nord, de la Manche et de l'Atlantique, entre Bray-Dunes
à la frontière avec la Belgique et
l'île aux
Faisans sur la Bidassoa qui marque la frontière avec
l'Espagne.
“ Au
début de mon périple, j'avais
décidé de
longer les quelques quatre mille kilomètres de
côtes, sans
m'aventurer à prendre un bateau pour visiter les
îles,
jugeant qu'elles étaient une autre
attraction ”
(p. 116). L'aveu jaillit à Fromentine, quand
l'auteur
s'apprête à embarquer “ pour
l'intrigante
Yeu ” (ibid.), “ un paradis
brutal ”
(p. 118) où “ comme par magie se
dresse …
le château de L'Île
Noire ” (p. 121).
D'autres
îles suivent : Noirmoutier
“ coquette,
harmonieuse, hors du temps ” où
rôde le
souvenir de la cinéaste Agnès Varda
(p. 135) ;
le Grand Bé et Chateaubriand
— “ Bé
signifie " tombe " en breton ”
(p. 216) ; Tatihou aperçue au
loin ; le
Mont-Saint-Michel — “ pas
question
d'écrire sur cette merveille
familière ”
(p. 220).
C'est à Chausey, sans doute, que l'auteur
s'approche au plus près de l'île
— quand le
continent et son bruit de fond s'estompent et que, soudain, le paysage
impose “ son charme brut ”
(p. 227).
1.
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Franck Maubert (né en 1955
à Provins) est critique d'art et essayiste. Son dernier
ouvrage, Avec Bacon (2019)
retrace les moments rares partagés avec le peintre, joyeux nihiliste.
Il est aussi l'auteur du Dernier
Modèle, un récit
consacré à Caroline, muse de Giacometti. Quitter
Paris est pour l'auteur une prise de distance
impérative :
l'ami Pierre Le-Tan va mourir : “ je pars pour
rompre le
rituel de nos déjeuners et de nos promenades dans Paris
à
la recherche de l'impossible ”
— la sirène
du bandeau de couverture vaut discret hommage. |
2.
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Prêt à quitter Paris, Franck
Maubert cite “ La
Longue Route de sable ”,
le reportage effectué en 1959 par Pier-Paolo Pasolini le
long
des côtes italiennes — vigoureux
stimulant, et
modèle évidemment hors de portée. |
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EXTRAIT |
C'est [du]
port du Hérel que je m'embarque pour Chausey à
bord du Jolie France. Une
fois encore, je m'étais promis de ne pas visiter les
îles
mais, après tout, je ne m'éloignerai du continent
que
d'une quinzaine de kilomètres.
[…]
Une fois
à quai, le petit groupe de passagers s'éparpille
si vite
que j'ai l'impression d'être seul. Des casiers à
homards
et des bouées surmontées d'un minidrapeau
s'entassent et
s'empilent sur la cale.
[…]
Je descends la prairie
où pousse une végétation exotique,
m'installe sur
un des rochers ronds qui m'évoque la caresse d'une
œuvre
de Hans Arp. Le paysage me tient sous son charme brut. Et je ne pense
plus à rien. L'eau décompose et recompose, aucun
peintre
ne saurait mieux faire. Le va-et-vient des marées,
à
l'image de mes allées et venues auprès de Pierre.
Le ciel
et la mer en miroirs inversés : qui regarde
l'autre ? Les
nuages en haut, l'écume en bas. Les vents qui les poussent.
Tout
se dérobe, s'efface, se reconstruit et recommence.
☐ pp. 225-227 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Hergé,
« L'île
noire », Bruxelles, Paris : Casterman, 2007
- Victor
Hugo, « Les travailleurs de la mer
[précédé de] L'archipel de la
Manche »,
Paris : Librairie générale
française (Le
Livre de poche, Classique, 16105),
2002
- Pier Paolo
Pasolini, « La
longue route de sable » avec des
photographies de Philippe Séclier, Paris : Xavier
Barral, 2014
- «
Agnès Varda : l' île et
elle »
— exposition présentée
à la Fondation
Cartier, Arles : Actes sud, 2066
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mise-à-jour : 1er juillet 2020 |
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