Le Grand
pingouin : biographie / Henri Gourdin. - Arles :
Actes sud,
2008. - 171 p. : ill., cartes ;
24 cm.
ISBN
978-2-7427-7266-7
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L'histoire du grand pingouin, pinguinus impennis, semble
remonter à l'aube des temps : sa
présence sur terre
est attestée il y a 500 000 ans. Dans un
passé plus
proche on dispose d'un superbe témoignage de sa rencontre
avec
l'homme ; l'oiseau est en effet représenté, sans
confusion possible, sur les parois de la grotte Cosquer
— à l'époque, soit vers
- 16 500, la
Méditerranée était aussi froide que le
golfe du
Saint-Laurent aujourd'hui. L'oiseau qui ne vole pas, mais qui est aussi
bon nageur que plongeur, affectionne en effet les mers froides. Plus
tard on le retrouvera au nord de l'Atlantique, principalement le long
d'un arc qui, des parages de Terre-Neuve côtoie le Groenland
puis l'Islande avant d'atteindre l'Ecosse et
ses îles, les Féroé et le littoral
scandinave.
Le grand
pingouin passe tout son temps en mer, au gré des
courants, et ne gagne la terre ferme que pour s'y reproduire et
attendre que sa progéniture puisse à son tour
mener une
vie d'errance. Ces rares et brèves escales s'effectuent le
plus
souvent sur de petits îlots côtiers tels que Funk
island
près de Terre-Neuve, Qeqertasussuk sur la côte
occidentale
du Groenland, Geirfuglasker et Eldey au sud de l'Islande, Stac-an-Armin
dans l'archipel de Saint-Kilda, Stóra Dímun aux
Féroé …
Cette
prédilection dictée par la
nécessité
— accessibilité, proximité des
zones de
pêche, absence de prédateurs —
causera la perte
de l'espèce quand l'homme fera irruption sur ces bords du
monde : nageur intrépide et vif, le grand oiseau
est sans
défense dès qu'il met pied à
terre ; qui plus
est sa chair est comestible. C'est un massacre dès les
premières rencontres avec les pêcheurs qui
découvrent les richesses des bancs de Terre-Neuve. Le
déclin de l'espèce, vieille de plusieurs
centaines de
milliers d'années, s'amorce aussitôt. En 1775, les
autorités de Terre-Neuve demandent en vain au gouvernement
britannique de règlementer les
prélèvements. Mais
ces alertes, comme celles qui suivront, n'auront d'autre effet que
d'attirer l'attention des collectionneurs sur la valeur marchande des
ultimes survivants dont la tête est littéralement
mise-à-prix pour alimenter les collections de naturalistes
amateurs, les cabinets de curiosités et muséums. En juin 1844, les deux derniers
grands pingouins connus sont abattus sur l'île d'Eldey.
Henri
Gourdin rapporte avec passion cette histoire aussi sinistre que
stupide, non sans signaler qu'elle pourrait préfigurer le
devenir de nombreuses autres espèces.
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EXTRAIT |
De
l'avis unanime des observateurs, l'oiseau était
particulièrement abondant sur l'île des Oiseaux de
Jacques
Cartier, baptisée Funk Island […]. Les
récits des
premiers visiteurs européens laissent penser que la colonie
comptait alors environ dix mille couples de grands pingouins soit
quelque chose comme trente mille oiseaux. Une tentation
irrésistible pour des marins
débarrassés de leurs
scrupules par la morale de conquête et de domination du
monde. La
colonie subsista pourtant, en dépit des massacres. Entre les
premiers débarquements dans les années 1500 et
l'extinction finale vers 1800, elle survécut près
de
trois cents ans.
Exploité d'abord pour la viande, le gisement fut
recyclé
successivement dans la fourniture d'huile, de graisse, de plumes.
L'homme tuait, mangeait, plumait, brûlait de plus en plus
d'oiseaux et l'oiseau revenait pourtant chaque année sur les
lieux du massacre et pondait, couvait, s'épuisait
à
nourrir un oisillon dont les chances de survie étaient de
plus
en plus ténues. L'histoire paraîtrait
irréelle,
sortie de l'imagination de romanciers morbides ou
d'écologistes
peu soucieux de vérité, si elle
n'était
confirmée par les tas d'ossements qui jonchaient le sol
à
l'arrivée des premiers enquêteurs dans la seconde
moitié du XIXe
siècle (ils y sont toujours en
partie), par les vestiges des enclos de pierres où les
oiseaux
étaient rassemblés avant l'abattage, par les
trente-cinq
tonnes de cadavres et de guano qu'un Américain enverra
à
Boston et vendra comme engrais en 1863. Car ce qui devait arriver
arriva finalement : il y eut de moins en moins de grand
pingouins
sur l'île de Funk à l'arrivée de
l'été et ensuite, à une date non
précisée de la fin du XVIIIe
siècle, il
n'y en eut plus. Parce que l'oiseau, comprenant ce qui l'attendait,
était allé se reproduire ailleurs ? Non,
parce que
l'espèce était éteinte, du moins dans
l'Ouest.
L'homme avait tué la poule aux œufs d'or.
☐ pp. 90-91 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Anatole France,
« L'île
des pingouins », Paris :
Calmann-Lévy, 1908 ; Paris : Presses
Pocket, 1985
- Sibylle Grimbert, « Le dernier des siens » , Paris : Anne Carrière, 2022
- Jean-Luc
Porquet, « Lettre au dernier grand
pingouin », Paris : Verticales, 2016
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mise-à-jour : 8 septembre 2022 |
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