Lanzarote, et autres textes / Michel Houellebecq. - Paris : EJL, 2002. - 89 p. ; 21 cm. - (Librio, 519). ISBN 2-290-31668-7
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Ce
pourrait être le journal tenu par un célibataire
français très ordinaire passant une semaine à
Lanzarote dans un hôtel à touristes. Le
récit de Michel Houellebecq soutient l'intérêt, sans
renoncer aux lieux communs les plus attendus, dans un
équilibre improbable entre consentement assumé aux
banalités vulgaires de l'exercice et recul de l'observateur postmoderne 1.Sous
ce regard jamais exempt de duplicité, l'île
s'éclaire de tonalités contrastées
— aussi éloignées, ou aussi proches, des
canons de l'exotisme pour dépliants publicitaires que de l'ailleurs des voyageurs fervents d'hier.Cinq
textes de quelques pages chacun complètent le recueil. Loin de
Lanzarote ? On peut en douter à lire les derniers mots 2 : « rien en ce monde n'est plus beau que la brume se levant sur la mer ». 1. | En rendant compte de la traduction anglaise, Philip Horne évoque [a] bleakly post-Beckettian, alienated narrative voice. — « Dust to dust », The Guardian, Sat. 9 Aug. 2003 [en ligne] | 2. | La scène est en Irlande … |
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EXTRAIT |
La
route de Teguise s'allongeait, parfaitement rectiligne, au milieu d'un
désert de pierres alternativement noires, rouges et ocres. Le
seul relief était constitué par les volcans, au
loin ; leur présence massive avait quelque chose
d'étrangement rassurant. La route était déserte,
nous roulions sans prononcer une parole. On se serait cru dans un
western métaphysique 1.
À Teguise, je réussis
à me garer près de la place principale et je m'installai
directement à une terrasse, laissant Rudi flâner entre les
échoppes. Il y avait surtout de la vannerie, de la poterie et
des timples
— sorte de petites guitares à quatre cordes
spécifiques à l'île, toujours selon les brochures
de l'hôtel. J'était à peu près sûr que
Rudi allait acheter des timples
à ses nièces ; ça me paraissait une attitude
normale. Ce qui était plus intéressant, c'était le
public du marché. Aucun beauf à casquette FRAM, pas de
routards auvergnats non plus. La foule assez dense qui se pressait
autour des étalages était surtout constituée de
roulures techno et de hippies chics ; on se serait cru à
Goa ou à Bali, plutôt que dans une île espagnole
perdue au milieu de l'Atlantique. D'ailleurs la plupart des
cafés autour de la place proposaient des services d'e-mail et de
connexion Internet à bas prix. À la table voisine de la
mienne, un barbu de grande taille, en costume de lin blanc,
étudiait la Bhagavad-Gita. Son sac à dos,
également blanc, portait les inscriptions suivantes :
« IMMEDIATE ENLIGHTMENT - INFINITE LIBERATION - ETERNAL
LIGHT ». Je commandai une salade de poulpes et une
bière.
☐ p. 33 1. | Discrète
évocation de l'intérêt porté au décor
insulaire par plusieurs cinéastes ? On pourrait évoquer Moby Dick (1956, avec Gregory Peck), One million years BC (1966, avec Raquel Welch), La route de Salina
(1971, avec Mimsy Farmer), etc. Après la parution du texte de
Michel Houellebecq, l'île sert de cadre au tournage de Cold skin de Xavier Gens d'après La pell freda (La peau froide) d'Albert Sánchez Piñol (2002), de Los abrazoz rotos de Pedro Almodovar (2009) ou, bien sûr, de La possibilité d'une île (2008). |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Lanzarote, au milieu du monde » 2 vol. (dont un de photographies prises par l'auteur), Paris : Flammarion, 2000
- « Lanzarote » in Houellebecq 1991-2000 avec un avant-propos de l'auteur, Paris : Flammarion (Mille & une pages), 2016
| - « La possibilité d'une île », Paris : Fayard, 2005
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mise-à-jour : 9 mai 2018 |
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