Îles
/ A. Alberts ; traduit du néerlandais par Kim
Andringa ; postface de Rob Nieuwenhuys. - Paris :
Piranha,
2015. - 170 p. ; 22 cm.
ISBN
978-2-37119-011-5
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Les
onze nouvelles du recueil ont pour cadre géographique
plusieurs
îles de la colonie néerlandaise des Indes
orientales
— lieux familiers aux lecteurs de Joseph
Conrad ; et
les protagonistes occidentaux sont, comme chez celui-ci, fonctionnaires
de l'administration coloniale, agents de comptoirs commerciaux
reculés ou des compagnies de fret maritime qui les
desservent.
Les ressorts à l'œuvre dans ces récits
sont moins
spectaculairement romanesques que chez Conrad, pourtant
l'intérêt ne se dément jamais au fil
d'une
narration où la lenteur s'accorde à une tension
permanente qui ne cesse
de pousser
le lecteur à aller plus loin et qui réside
(…)
ailleurs que dans l'enchaînement des
événements (1).
Chacun
des onze tableaux donne à entendre l'ébauche d'un
dialogue — aux limites de l'absurde, entre des
personnes qui n'ont au
fond rien à se dire et dont la conversation
ressemble à un
tâtonnement de cornes d'escargots sorties et
aussitôt
rentrées, placée sous le signe du malentendu,
évité de justesse (2).
Le dernier temps du recueil
— « Par-delà
l'horizon » — est celui
du retour ;
mais le dialogue renoué en terre
réputée
familière subit le même effet de distanciation que
là-bas
… dans les îles.
La postface
de Rob Nieuwenhuys est extraite de l'ouvrage de
référence
que ce dernier a consacré à la
littérature
coloniale des Pays-Bas (cf. ci-dessous, complément
bibliographique) ; elle éclaire avec
précision les
qualités d'une œuvre singulière et
déroutante, où l'on trouve bien autre chose que des
souvenirs légers (3). |
1. Rob Nieuwenhuys, Postface,
p. 160
2. Ibid., pp. 161-162
3.
Ibid., p. 171
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NOTE
DE L'ÉDITEUR :
A. Alberts (1911-1995) est né à Haarlem aux
Pays-Bas.
Après avoir soutenu un doctorat en littérature et
philosophie, il part à l'âge de vingt-huit ans
pour les
Indes néerlandaises (actuellement Indonésie) en
tant que
fonctionnaire. Il y passera sept ans dont la moitié dans un
camp
de concentration japonais.
Si la
publication en 1952 d'Îles
marque ses débuts littéraires, il s'agit
toutefois de
débuts peu ordinaires : les nouvelles de ce recueil
« n'ont jamais constitué une promesse,
pour la simple
raison qu'elles étaient d'emblée
intrinsèquement
parfaites, c'est-à-dire racontées sur le seul ton
juste » (Rob Nieuwenheuys).
Auteur de
nombreux romans,
d'essais et de nouvelles, A. Alberts est
considéré comme
un des écrivains néerlandais majeurs du XXe
siècle.
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EXTRAIT |
Il y a un jardin derrière la maison où
j'habite et
il n'y a pas de jardin sur le devant. Dans les îles, il y
avait
toujours des jardins sur le devant. Je ne me rappelle pas
être
jamais allé derrière ma maison dans les
îles. Et
les autres n'y allaient pas non plus. Tous étaient toujours
assis sur une chaise devant leur maison avec une lampe le soir,
auprès d'une table sur laquelle il y avait à
boire. Chez
monsieur Zeinal, c'était du café et chez le
capitaine du
port, c'était du genièvre et chez le docteur, du
rhum.
Taronggi III avait toujours sur sa table ce que son
invité
aimait boire.
Mais ici,
quand je ferme la porte d'entrée derrière moi, je
me
retrouve dans la rue. Je me retrouve dans la rue à quatre
heures
de l'après-midi avec des gens qui passent devant moi en me
lançant des regards obliques et inquisiteurs, car ils savent
bien que je viens des îles. Puis ces gens rentrent chez eux,
ou
ailleurs, et ils disent à leur famille : Y en a un
autre
qui est rentré des îles, et la famille
dit :
Ça doit être un des fils Untel, et pendant ce
temps, je
marche dans les rues et à cinq heures, je finis dans un
café, et l'homme derrière le zinc me dit
après le
deuxième verre de genièvre : Vous devez
être
un des fils Untel, et je dis : Oui et je dis : Je
viens des
îles. Oui, l'homme derrière le zinc s'en
était
douté et comment c'était là-bas dans
les
îles alors ? et je dis : Oui et juste
après, je
dis : Non, car j'avais pensé un instant lui
raconter
quelque chose sur Taronggi III, mais en fait, je ne vois pas
comment faire. Alors, un peu après, je dis : Oh,
c'est pas
mal là-bas, et encore un peu plus tard, je me
lève et je
paie et je rentre à la maison, celle avec la porte
d'entrée.
☐ Par-delà
l'horizon, p. 154
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « De
eilanden », Amsterdam : G.A. Van Oorschot,
1952
| - « Namen
noemen : zo maar wat ongewone en openhartige herinneringen aan
het
leven in het verloren paradijs, dat Nederlands-Indie heette
1939-1947 », Amsterdam : H.J. Paris, 1962
| - Rob
Nieuwenhuys, « Oost-Indische spiegel : wat
Nederlandse
schrijvers en dichters over Indonesië hebben geschreven, vanaf
de
eerste jaren der Compagnie tot op heden »,
Amsterdam :
Em. Querido, 1972 ; « Mirror of the
Indies : a
history of Dutch colonial literature » translated by
Frans
van Rosevelt, Amherst : University of Massachusetts press, 1982
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mise-à-jour : 16
février 2016 |
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