Au bout des
avicennia morts … / Eric Mansfield ; préface
d'Elise Lopez. - Soisy-sur-Seine : Le Vert-Galant, 2007. -
39 p. : ill. ; 22 cm.
ISBN 978-2-8484-6061-1
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ÉLISE LOPEZ : « Au bout du petit matin … »ÉLISE LOPEZ : « Au bout des Avicennia morts … »
Comment ne pas entendre résonner ici la phrase liminaire du célèbre Cahier d'un retour au pays natal, tel
un hommage implicite rendu à Aimé Césaire, le
premier à dénoncer les visions idylliques des paysages
antillais comme autant de masques trompeurs destinés à
cacher les ravages de la colonisation et de l'Histoire ? En 1939,
les images occidentales et doudouistes paradisiaques éclataient
alors avec violence sous sa plume révoltée. Et le monde
découvrait alors
«
au bout du petit matin bourgeonnant d'anses frêles les Antilles
qui ont faim, les Antilles grêlées de petite
vérole, les Antilles dynamitées d'alcool,
échouées dans la boue de cette baie, dans la
poussière de cette ville sinistrement échouées.
»
Soixante ans plus tard, les Antilles, devenues département
français, ont ouvert leurs portes à la déferlante
de la civilisation et des technologies modernes. Cependant à
l'orée du poème d'Eric Mansfield, un chant de
désespoir semble à nouveau s'élever. Comme si rien
n'avait vraiment changé ; ou plutôt, comme si les
changements n'avaient fait qu'aggraver l'état du pays. La mort
est installée à l'entrée du poème,
véritable figure de proue qui va accompagner le poète et
son lecteur tout au long de leur parcours à travers le pays
antillais, « au bout des Avicennia morts ».
[…]
Le poète guide le lecteur à travers une
végétation désolée, prête à
disparaître sous l'avancée du goudron des temps modernes,
et un panorama des espèces animales menacées qui tentent
de fuir toujours plus loin mais se retrouvent vite acculées,
prises au piège de ce pays « cerclé comme une barique ».
La voix poétique semble mimer cette infinie fuite en avant, en
quête d'un espace préservé qu'on espère
trouver « au bout de la
route », « au bout des
nénuphars », « au bout des
mares », « au bout des bords d'étangs et
de rivières », rêve vite avorté par la rencontre brutale avec les « décombres », « les mauvaises herbes », et « les Avicennia morts ».
À chaque fois, les élans de la parole poétique
achoppent sur des images mortifères, et le chant s'arrête,
les mots laissent place au blanc et au silence.
Cependant aussi à chaque fois, il semble reprendre, s'élever à nouveau […].
Sous les décombres apparents subsistent encore des « bouffées d'air frais »
et la voix poétique les recherche inlassablement, voire se fait
impérieuse par endroits, et appelle à lutter contre
l'envahissement ; elle parle au nom de cette île en
péril qui reste « merveilleuse malgré tout »,
et bien au delà, au nom d'un pays en voie d'asphyxie mais
« qui ne se laisse jamais
désespérer ».
[…]
☐ Préface, pp. 7-9
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FRANCIS MARMANDE : […]
Les îles, cette poussière d'îles de la Caraïbe,
sont dures à vivre, sauf aux touristes. Et encore, ils se
plaignent : de la chaleur, de la froideur des autochtones et des
retards d'Air France. Quelques livres d'autochtones à lire en
salle d'attente ? Le Nègre vous emmerde 1, de Claude Ribbe, chez Buchet-Chastel. Et ce fascicule fascinant : Au bout des Avicennia morts …, d'Eric Mansfield (Le Vert-Galant éditeur). Cap enragé, Crochemort, Epineux, Reculé, Trou aux chiens : «
Ici, le peintre peint une nature morte. (…) Au pied des
Avicennia morts, les trous de crabe sans crabes, et les yeux des crabes
sans trous perdus dans leur fuite éperdue. »
☐ « Bienvenue chez les autochtones », Le Monde, 19 juin 2008 1. | « Le petit nègre t'emmerde ! » :
réponse d'Aimé Césaire à un automobiliste
parisien qui l'avait traité de … petit nègre ; le lendemain, avec Léopold Senghor et Léon-Gontran Damas, il lançait le mouvement de la « négritude ». |
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EXTRAIT |
Au
bout des routes, des chemins, des tracées, des voies
ferrées, et de tous les décombres du monde,
l'uniformisation des hommes et des cultures durant des siècles
et des siècles.
Je te parle d'un peuple qui hoquette
Et qui construit sa lutte
Sur le rythme même de son hoquet.
Je te parle de poissons qui n'ont plus d'oxygène,
De baleines qui cherchent un sanctuaire,
Du dauphin qui est l'ami de l'homme …
Des tortues dépecées sur le lieu de la ponte.
Du tigre de Manas dans l'état d'Assam.
Fort-de-France,
étincelant de ses carrosseries flambant neuf, cylindrées
dernier cri, de plus de 200 et combien kilomètres heure,
parfumé de ses essences, endimanché à la
queue-leu-leu devant Piou-Piou, qui pioupioute, qui piétine dans
ses nids de poule, Fort-de-France dernier cri à l'angle des rues
de la République et Lamartine devant le Prisunic dernier prix,
Fort-de-France et ses yeux, ses multiples paires d'yeux, hagards,
désorbités, perdus je ne sais où, est-ce à
droite, est-ce à gauche, est-ce stupéfiés par je
ne sais quoi, je ne sais où, Fort-de-France pas comme les autres.
☐ p. 36 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- « L'école du regard dans Les Yeux d'Elsa d'Aragon et dans Les Yeux fertiles d'Eluard », Paris : Thélès, 2008
- « La
symbolique du regard : regardants et regardés dans la
poésie antillaise d'expression française (Martinique,
Guadeloupe, Guyane, 1945-1982) », Paris : Publibook,
2009
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mise-à-jour : 10 décembre 2009 |
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