Villiers de l'Isle-Adam

Tribulat Bonhomet

Absalon

Nancy, 2007
bibliothèque insulaire
   
errances

parutions 2007

Tribulat Bonhomet / Auguste de Villiers de l'Isle-Adam ; suivi d'un Vade-Mecum de Dominique Fagnot. - Nancy : Absalon, 2007. - 163 p. ; 21 cm.
ISBN 2-916928-00-5
Cette nouvelle roulait sur un simple adultère et concluait à un indicible effroi, alors que Bonhomet, déployant les prunelles de Claire, à son lit de mort, et les pénétrant avec de monstrueuses sondes, apercevait distinctement réfléchi le tableau du mari qui brandissait, au bout du bras, la tête coupée de l'amant, en hurlant, tel qu'un Canaque, un chant de guerre.

Joris-Karl Huysmans — A Rebours, Ch. XIV

L'osseux et gigantal
docteur Tribulat Bonhomet — le tueur de cygnes — est proche par sa sottise suffisante de Bouvard et Pécuchet autant que d'Ubu. Dans la bibliothèque du héros d'A Rebours, les œuvres de Villiers de l'Isle Adam (1838-1889) prennent place entre celles de Baudelaire, Verlaine, Tristan Corbière, Poe et celles de Charles Cros, Mallarmé, Aloysius Bertrand : des Esseintes voit s'y refléter “ toute l'ordure des idées utilitaires contemporaines, toute l'ignominie mercantile du siècle ”.

Avant qu'au chapitre XVII une sinistre image des mers du Sud 1 fournisse le signe annonçant un dénouement grand-guignolesque, le docteur résume au chapitre VI ses voyages dans les cinq parties du monde : “ je parlai des djeysers ou volcans de boue de l'Islande, … du passeport tatoué sur mon dos que m'avait donné, en signe d'affection, Zouézoué-Anandézoué-Rakartapakoué-Boué-Anazenopati-Abdoulrakam-Penanntogômo V, roi des îles Honolulu et Moo-Loo-Loo, … du culte du serpent chez les cannibales de la Terre-de-Feu — (serpent qui se contente de mordre l'ombre humaine sur le sable, au soleil, pour faire mourir), … du chef de tribu zélandais Ko-li-Ki (Roi des Rois), qui ne vit qu'en prélevant sur ses sujets (lorsqu'il passe à travers les huttes) de grands morceaux de chair, enlevés d'un coup de mâchoire, aux endroits friands ; … — Bref, je fus charmant ! ” (pp. 61-62).
       
1.Image peu éloignée de celles que proposaient aux lecteurs de l'époque de nombreux récits d'explorateurs, colonisateurs ou missionnaires.
EXTRAIT    La lettre venait d'Angleterre. Un de mes correspondants de Londres, homme très original comme le sont un peu tous les Anglais, m'annonçait le gain d'un procès capital pour sa maison — ce dont il espérait — disait-il assez plaisamment — que je me réjourais avec lui. Le post-scriptum ajoutait que — « à propos » un jeune Anglais de mes amis, venait de périr d'une mort des plus tragiques, au cours d'une mission dans l'extrême Océanie. Le steamer d'exploration qu'il montait se trouvant engagé dans le 14e latitude sud, et le 134e de longitude, à hauteur des Marquises, en avant du groupe sinistre des Pomotou, l'on avait mis à la mer une embarcation, commandée par cet officier, pour reconnaître les atterrages — de l'un de ces vastes îlots, d'aspect désert, sortes de volcaniques blocs de lave qui jaillissent, noirs, à de prodigieuses altitudes, — et balancent, dans l'orageux ciel du grand océan équinoxial, d'énormes forêts d'un vert intense.

   « En ces parages, les plus reculés, pour ainsi dire, de notre globe, nul commerce possible n'ayant paru aux nations civilisées mériter que l'on risquât des bâtiments au milieu des innombrables récifs qui en hérissent les abords, ces îlots, perdus en des étendues de flots démesurées, demeurent tout à fait inconnus : cet archipel en compte plus de sept cents, dont quelques-uns seulement sont madréporiques.

   « Les effroyables tempêtes, les enlisements d'un certain sable basaltique pareil à de la poussière d'anthracite, les tombées, parfois soudaines, de brumes stagnantes, rendent ces régions funestes aux navigateurs, qui ont surnommé ces eaux la Mer-dangereuse : et tant de bâtiments de tous pavillons s'y sont perdus que l'on a silencieusement renoncé à s'y égarer. Seule, une secte de pirates polynésiens, les Ottysors, guetteurs de naufrages, s'y réfugient par les mauvaises nuits et, les uns tapis dans les cavernes, les autres errants à travers les roches, attendent des proies.

   « Or, au moment de l'évènement, le petit détachement d'éclaireurs, sous les ombres du soir, longeait, sur la falaise de l'îlot, les périlleux sables et regagnait le bord. Le jeune officier, qui s'était peut-être avancé d'une cinquantaine de pas en avant de l'escorte, fut si brusquement assailli, au détour d'un roc, par un grand insulaire noir, (— sans doute l'un de ces Ottysors-pirates) — que celui-ci lui avait déjà tranché la tête et, s'inondant de sang, la balançait à bout de bras avec des gestes affreux, avant qu'un mouvement quelconque de défense, avant qu'un coup de feu, qu'un cri même eussent eu le temps de s'effectuer. Comme l'escouade se précipitait pour le massacrer, on le vit s'aventurer, à pas lents, sur les sables mortels, où lui fut envoyé un feu de salve continu, qui éclaira le crépuscule, pendant que le fantastique indigène, se vouant lui-même à la mort, s'enlisait peu à peu, devant l'équipage interdit, sous les dunes de ces plages fatales et, disparaissait, dans l'étouffement, en agitant par les cheveux, en son poing levé tout droit, la tête sanglante qu'il avait l'air de montrer victorieusement aux étoiles. Le malheureux ami n'était autre qu'un lieutenant de vaisseau nommé sir Henry Clifton, avec lequel, disait mon correspondant, je devais avoir fait route de Jersey à Saint Malo. »

   Je m'abstins, sur le moment, de toute réflexion relative à sir Henry Clifton au reçu de cette fâcheuse nouvelle. J'avait entendu parler de ces très rares Ottysors couleur de jais, ou guetteurs de naufrages. Les marins de Norwège et de Hollande nomment aussi ces nègres les Démons des enlisements. Ces féroces cannibales sont enveloppés d'un mystère non pénétré encore. La nuit, parfois, on entend, au loin, sur les écueils, leur grand cri, sombre hurlement de guerre. Ce sont de véritables ombres. Aucun d'eux n'a été fait prisonnier, et, malgré les décharges, on ne les voit ni tomber, ni fuir. « On ne sait ce qu'ils font de leurs morts, s'ils meurent, » dit assez étrangement le géographe danois Bjorn Zachnussëm.

   Je résolus de bannir de ma mémoire cette aventure qui me parut de nature à pouvoir troubler mon sommeil.

Claire Lenoir, Ch. XVII, pp. 126-128
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Tribulat Bonhomet », Paris : Tresse et Stock, 1887
  • « Tribulat Bonhomet », in Œuvres complètes de Villiers de l'Isle-Adam (tome II), éd. de Pierre-Georges Castex et Allan Raitt, Paris : Gallimard (La Pléiade), 1986

mise-à-jour : 16 février 2009

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