Françoise Daniel, Philippe Lagadec, Jean-Claude Le Dro et Paul Piriou

Les carnets de voyages de Max Radiguet, 1816-1899 : écrivain-illustrateur landernéen

Ville de Landerneau, Service du patrimoine historique

Landerneau, 2007

bibliothèque insulaire

   
livres sur les Marquises
parutions 2007
Les carnets de voyages de Max Radiguet, 1816-1899 : écrivain-illustrateur landernéen, Karnedoù-beaj Max Radiguet,1816-1899 : skrivagner ha skeudenner eus Landerne / Ville de Landerneau, Service du patrimoine historique ; [textes de Françoise Daniel, Philippe Lagadec, Jean-Claude Le Dro et Paul Piriou]. - Landerneau : Ville de Landerneau, 2007. - 52 p. : ill. ; 30 cm.
ISBN 2-952699-22-8
Tout sépare des hommes comme Radiguet et Melville appelés dans les mêmes parages marquisiens. L'un est écrivain de la marine, l'autre déserteur devenu vagabond — omoo ou beach-comber. Le premier représente l'ordre, le second le fuit. Et pourtant, ils ont en commun une démarche artistique qui les distingue de leurs prédécesseurs. Avec eux la Polynésie n'est plus traitée comme un objet à saisir d'un point de vue pittoresque ou ethnographique. Un ton nouveau apparaît dans la littérature océanienne.

Jean-Jo Scemla
Le voyage en Polynésie : Anthologie des voyageurs occidentaux, de Cook à Segalen (cité p. 26)

Embarqué à bord de la Reine Blanche en qualité de secrétaire du contre-amiral Dupetit-Thouars, Max Radiguet (1816-1899) fait une escale de plusieurs mois aux îles Marquises en 1842. Il y trouve la matière d'un long récit où la chronique du séjour, formellement contrainte par les impératifs de sa charge officielle, se laisse progressivement contaminer par un regard plus personnel — et parfois ethnographique avant la lettre. « Les derniers sauvages : souvenirs de l'occupation française aux îles Marquises, 1842-1859 » paraît pour la première fois en 1860 et sera régulièrement réédité (dernièrement en 2014).

Le catalogue de l'exposition organisée en 2007 par la ville de Landerneau (où est né Max Radiguet) replace cet épisode dans une vie où se suivent des horizons contrastés : années de formation en Bretagne, découverte de Paris, premières navigations (Haïti), voyage en Amérique du Sud et aux Marquises, retour à Paris où il mène une vie d'artiste et de dandy, retour aux sources bretonnes. Au fil de ce parcours, Max Radiguet ne cesse d'écrire et cultive son goût pour le dessin — en pratiquant (aux Marquises, en Amérique du Sud), ou comme critique apprécié (à Paris). Le catalogue présente d'intéressantes reproductions (dessins et aquarelles) qui complètent utilement la lecture des « Derniers sauvages ».

Plus généralement, ce précieux recueil fournit l'occasion d'une mise en perspective de l'œuvre de Radiguet — en la situant dans l'époque où elle a été conçue, et en précisant dans ses grandes lignes la personnalité riche et complexe de l'auteur.
EXTRAIT Du récit colonial à la fiction exotique

Par son style et ses thématiques, Les derniers sauvages est à égale distance de Bougainville et de Pierre Loti. D'un côté, il est dans la lignée des récits d'expéditions scientifiques et des campagnes d'expansion coloniale qui rendent compte des découvertes botaniques, géologiques et ethnographiques et délivrent des informations stratégiques : Radiguet légitime son livre par son souci de « raconter les épreuves de leur installation aux Marquises, de retracer ensuite les résultats qui vinrent couronner leurs efforts, de faire pénétrer le lecteur à la fois dans la vie coloniale et dans la vie indigène ». Toute la première partie de son ouvrage est le récit de la colonisation des Marquises, afin de légitimer cette entreprise. D'un autre côté, Radiguet semble annoncer Pierre Loti et toute la littérature exotique : « C'est le côté pittoresque des pays parcourus qui a excité ma curiosité. C'est surtout à l'artiste que je m'adresse ; c'est à celui qui aime vivre quelques instants de la vie véritable et secrète du peuple chez lequel il suit l'auteur et qui veut de sa lecture conserver un souvenir poétique ». L'exotisme comme dépaysement du voyageur, l'exotisme comme divertissement du lecteur, voilà un des horizons de l'ouvrage de Radiguet, qui traverse toute l'œuvre de Loti.

Du récit ethnographique au deuil d'un monde

Surtout, son ouvrage est un travail ethnographique. Toute la deuxième partie de son livre est consacrée à la présentation des mœurs et des coutumes des habitants de l'archipel marquisien de Nuku Hiva : étude de la vie quotidienne, étude des cérémonies publiques, étude des mœurs religieuses. En abordant les Marquisiens par la religion, Radiguet marque leur « étrangeté » absolue et la frontière entre « eux » et « nous », entre les « civilisés » et les « sauvages ». Cette distinction étant faite, il lui faut en rendre compte : toutes les références antiques permettent, par exemple, de « domestiquer » les sauvages par l'analogie qui s'installe entre éloignement dans l'espace et éloignement dans le temps. Voyager est dès lors vécu comme une avancée en direction des origines de l'humanité. En ensauvageant les Marquisiens, Radiguet les met à distance, mais une distance qui n'est plus que généalogique. Radiguet les rend témoins et dépositaires d'une culture originelle à l'état de traces qu'il lui faut dès lors interroger ; surtout, Radiguet souligne la responsabilité des Français dans le pervertissement de ces « enfants ». Cette idée selon laquelle les « Blancs » n'apportent, dans cet univers d'innocence, que des manifestations du péché — alcoolisme, maladies vénériennes, … — était déjà présente chez Bougainville et Diderot. Face à un paradis en décomposition, l'ethnographie apparaît alors comme l'unique réponse : « Ce sont les mœurs des sociétés auxquelles je me suis mêlé qui ont accaparé mon attention. Car les rapports de plus en plus fréquents des nations entre elles effacent chaque jour les grands traits qui les distinguent, pour ne laisser subsister que certaines nuances de leur origine et de leur caractère : ce sont ces nuances que j'ai voulu saisir ».
(…)


Un récit polyphonique

Enfin, l'étude des préfaces des rééditions nous permet de saisir les différente réceptions de son livre, la polyphonie de son texte. Son ouvrage a d'abord été lu comme un témoignage de l'occupation française des Marquises (1860) ; puis comme un travail ethnographique (1882) ; comme un récit exotique (1929) ; à nouveau comme un récit ethnographique (1967), la dernière réédition de 2001 étant symptomatique de plusieurs nostalgies : à la nostalgie de Radiguet s'ajoute la nostalgie du lecteur, qui pourrait reprendre les mots de Lévi-Strauss :
« Je voudrais avoir vécu au temps des vrais voyages, quand s'offrait dans toute sa splendeur un spectacle non encore gâché, contaminé, maudit. »

Max Radiguet à la découverte du monde, p. 29
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
→ Marie-Agnès Sourieau, « Max Radiguet et les “ derniers sauvages ” : la dégradation de l'exotisme », French Review 74.4 (2001) [en ligne]

mise-à-jour : 6 mars 2014

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