RÉSUMÉ
L'évolution thématique
des pièces de Yeats n'est pas sans analogie avec celle
de sa poésie, mais
il lui fallut des années pour trouver le théâtre
idéal. Autour de 1890, avec une sensibilité artistique
modelée par le préraphaélisme qui l'incitait
à rechercher l'évasion dans les brumes du Crépuscule
Celtique, il commença à s'intéresser à
la mise en scène et au rituel. Son inspiration lui vint
non d'Angleterre où le théâtre avait dégénéré
sous l'influence du puritanisme victorien et du commercialisme,
mais du continent avec Wagner et son « théâtre
total » qui, en mettant en musique les légendes
allemandes, ouvrait la voie à son exploitation des mythes
celtiques, car l'Irlande fut d'emblée présente
dans des pièces où s'exprimaient son nationalisme
et son goût des légendes.
En France où se développait
une opposition au naturalisme, il assista à la représentation
d'Axël (Villiers de L'Isle-Adam) qui remettait à
l'honneur l'imagination et dont on trouve d'immanquables échos
dans Les Ombres sur la mer. Wagner, Villiers, Maeterlinck
l'aidèrent à forger ses idéaux dramatiques.
Ses recherches théâtrales s'orientèrent alors
vers l'expression sur scène de l'intériorité,
« des profondeurs de l'âme » ...
Encouragé par Arthur Symons et les symbolistes, il voulut
créer un théâtre de l'imaginaire, point de
rencontre du naturel et du surnaturel.
Sa métamorphose en homme
de théâtre fut aidée par la rencontre de
Gordon Craig avec qui il collabora de 1909 à 1912. Lui
aussi ennemi des naturalistes, Craig voulait redonner la prééminence
à la vie intérieure. Sous son influence, Yeats
expérimenta un style de décor simplifié
jouant de la symbolique des couleurs et des jeux d'ombre et de
lumière, utilisa ses paravents sobres et suggestifs, adopta
une gestuelle réduite, symbolique et rythmée, couvrit
d'un masque le visage de l'acteur. Désormais l'écriture
poétique primait.
Quand des difficultés
surgirent avec Craig et que les problèmes financiers interdirent
des recherches nouvelles, le théâtre fut dans l'impasse
jusqu'à la révélation du nô auquel
l'initia Ezra Pound. Drames lyriques et symboliques, révélant
l'inexprimable sur une scène nue, accompagnés d'un
choeur, de musiciens ou de danseurs, utilisant le masque et prônant
une sobriété de mouvements, le nô et les
Pièces pour danseurs de Yeats sont l'expression
d'un art complet. Il existe ainsi une continuité entre
les intentions premières du dramaturge, les enseignements
de Craig et les emprunts au nô, même si les matériaux
d'origine furent modifiés. Autour de 1930, plusieurs de
ses pièces furent marquées à des degrés
divers par le nô, tout en incorporant des conventions réalistes.
C'est là un théâtre d'avant-garde.