NOTE DE L'ÉDITEUR : Pouvanaa est né en 1895 à
Huahine. Il participe à la Première Guerre mondiale.
En 1940, il est l'un des principaux artisans du Ralliement à
la France libre, mais il s'oppose vite à l'Administration
qu'il accuse de ne pas respecter les droits des autochtones,
ce qui lui vaut des peines d'emprisonnement. Il continue son
combat après la guerre et il est élu député
en 1949. Il fonde un puissant parti, le Rassemblement démocratique
des Populations tahitiennes (RDPT). Devenu vice-président
du gouvernement issu de la loi-cadre, il préconise le
NON au référendum organisé par le général
de Gaulle le 28 septembre 1958. Il n'est pas suivi par la population
qui, en votant oui majoritairement, souhaite implicitement rester
attachée à la France. Peu après, Pouvanaa
est arrêté sous le motif qu'il aurait ordonné
d'incendier Papeete. Si cette accusation n'est pas retenue à
l'issue du procès, il est néanmoins condamné
à la prison et à 15 années d'exil pour « complicité
de destruction d'édifices et détention d'armes
et de munitions sans autorisation ». Amnistié
en 1968, il rentre à Tahiti et devient sénateur
de 1971 jusqu'à sa mort, en 1977. Il n'a cessé
de proclamer son innocence pour les faits de 1958 et combattu
pour obtenir la révision de son procès. Les diverses
tentatives pour y parvenir, de son vivant comme après
son décès, sont restées vaines. Les Polynésiens
l'ont surnommé Te Metua, c'est-à-dire une
sorte de père spirituel de la nation tahitienne.
Ce qui précède
est bien connu de tous ceux qui s'intéressent à
l'histoire de la Polynésie. Mais Jean-Marc Régnault
(qui a déjà publié en 1996 un livre sur
Pouvanaa : « Te Metua :
l'échec d'un nationalisme tahitien ») vient
d'avoir eu accès à des documents jusque-là
non communicables et qui jettent une lumière nouvelle
(ou qui apportent la preuve de ce que l'on supposait généralement)
à la fois sur la détermination politique de Pouvanaa
dont on ne mesurait ni l'ancienneté, ni la force, et sur
l'acharnement dont ses adversaires ont fait preuve.
Après la Deuxième
Guerre mondiale, la France prétend, dans le préambule
de la Constitution de 1946, « écarter tout système
de colonisation fondé sur l'arbitraire » et elle
promet de « conduire les peuples dont elle a pris
la charge à la liberté de s'administrer eux-mêmes
et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ».
Or, les autorités de l'Etat ne sont pas décidées
à donner à ces promesses la dimension qu'elles
auraient pu avoir. Dans le contexte océanien, c'est particulièrement
grave. En effet, tandis que la Commission du Pacifique Sud voulait
faire consacrer le principe du self government des territoires
autonomes, la France s'y oppose farouchement. Le prétexte
avancé est que les Tahitiens n'ont pas le degré
de culture suffisant pour leur permettre de gérer leurs
propres affaires. Il ne faut pas oublier ce contexte lorsqu'on
examine le combat de Pouvanaa, avec ses erreurs, ses exagérations
ou maladresses. Avec ses mots à lui, avec son mode de
raisonnement très particulier — que les Polynésiens,
eux, comprennent bien — Pouvanaa veut éveiller la
conscience politique de ses compatriotes et leur demande de refuser
de continuer à être étrangers sur leur propre
terre. Il voudrait que le Tahitien bénéficie des
quelques « richesses » locales (phosphates,
coprah, nacre, vanille) qui, de fait, ne profitent qu'à
quelques familles. Il voudrait que quelques gros importateurs
ne s'enrichissent pas aux dépens des populations.
Le livre de Jean-Marc Regnault
met en valeur plusieurs aspects :
- Il retrace la carrière
politique de Pouvanaa, […].
- Il montre que les puissants
intérêts (bourgeoisie locale, hauts fonctionnaires)
que combattaient Pouvanaa voulaient trouver le moyen de se débarrasser
de lui. Ses adversaires ne supportent pas que la loi-cadre Defferre
appliquée en 1957 donne le « pouvoir »
à Pouvanaa. Il est vrai que le Metua est davantage fait
pour haranguer les foules que pour gérer l'administration.
Et quand il demande aux Polynésiens de voter NON au référendum
du 28 septembre 1958, ses adversaires paniquent : et si
Pouvanaa réussissait à entraîner les Polynésiens
dans l'indépendance ?
- Il est clair que
Pouvanaa fut poussé à la faute. S'il n'en a pas commis,
il a fallu en fabriquer. Qu'il ait donné ou non l'ordre
d'incendier la ville (et s'il l'a fait, c'est avec le langage local,
toujours empreint de symboles) importe peu. Il faut même faire
taire le ministre de la Justice de l'époque pour lequel le
dossier d'accusation est vide. Pouvanaa est arrêté le 11
octobre 1958 et désormais, il s'agit de tout mettre en
œuvre pour que sa condamnation soit exemplaire. Le gouverneur est
chargé de faire oublier aux Polynésiens
« l'ère Pouvanaa ». […]
- Jean-Marc Regnault — s'appuyant
sur ses publications antérieures — retient dans son
livre que l'affaire Pouvanaa peut aussi se lire dans l'optique
de préparer la Polynésie à recevoir le Centre
d'Expérimention du Pacifique. Il ne fallait donc ni d'un
leader susceptible de galvaniser les populations contre les essais,
ni d'une autonomie qui aurait pu donner des appuis institutionnels
à cette contestation. » […]
- Ce livre permettra-t-il d'engager
un nouveau recours auprès de la Cour de Cassation pour
obtenir la reconnaissance de l'innocence de Pouvanaa ? L'auteur
est un historien et il laisse le soin aux juristes d'utiliser
les documents qu'il a livrés au public, leur indique les
documents qu'il faudrait encore produire pour que tout doute
soit levé.
Enfin, l'auteur estime que, maintenant,
c'est à l'Etat de décider s'il accepte ou non de
révéler ce qui, jusqu'à présent est
resté caché. En Nouvelle-Calédonie, il a
accepté de reconnaître « les ombres »
de la période coloniale. Cet aveu que l'on peut toujours
critiquer (certains s'en moquent même) a ramené
la paix chez les voisins du Pacifique. Reconnaître qu'en
Polynésie la raison d'Etat a frappé celui que les
Polynésiens, dans leur ensemble, considèrent aujourd'hui
comme le « père » de la revendication
autonomiste voire indépendantiste, faciliterait certainement
les rapports futurs entre l'Etat et la nouvelle collectivité
d'outre-mer.
Pour l'auteur, comme il l'écrit
dans l'introduction, « l'Histoire est aussi une thérapie,
ce qui exclut toute perspective de récupération
par telle ou telle force politique. En Polynésie française,
il est nécessaire de ne rien laisser dans l'ombre. Les
conflits se nourrissent de rumeurs, de silences gênés.
A partir du moment où l'on sait, il est alors possible
d'expliquer sereinement pourquoi, à une époque
donnée, les hommes ont pu se comporter de telle ou telle
façon. Point n'est besoin de les excuser forcément,
du moins les comprendra-t-on mieux ».
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - Jean-Marc Regnault, « Te Metua, l'échec d'un nationalisme
tahitien », Papeete, 1996
- Jean-Marc Regnault, « Pouvana'a et De Gaulle : la candeur et la grandeur », Papeete, 2009
- Jean-Marc
Regnault et Catherine Vannier, « Le metua et le général, un combat
inégal : un complot colonial en Polynésie française », Moorea, 2009
| - Jean-Marc Regnault, « Des partis et des hommes en Polynésie
française (tome 1) Here Ai'a, Ia Mana, Tireo, Tavini »,
Papeete : Haere po no Tahiti, 1995
- Jean-Marc Regnault, « Oscar Temaru/Gaston Flosse, Le pouvoir
confisqué », Papeete, 2004
- Jean-Marc Regnault, « La
France à l'opposé d'elle-même : essais
d'histoire politique de l'Océanie », Moorea :
Ed. de Tahiti, 2006
- Jean-Marc Regnault, « Tahiti malade de ses politiques », Moorea : Ed. de Tahiti, 2007
- Jean-Marc Regnault et
J.-M. Dubois (dir.), « Manuel
d'histoire du cycle 3 », Papeete, 1998
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