Au nom du frère /
Bernard Pingaud. - Paris : Seuil, 2002. -
297 p. ; 21 cm.
ISBN
2-02-048484-6
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De
Groix, j'ai le souvenir de pluies décourageantes, mais aussi
de
journées radieuses, où le soleil brillait sans
brûler, où le vent faisait frissonner les
fougères
et chassait vers le large des trains de nuages blancs,
où ... (« Mais non, me souffle
Paul, n'essaie
pas de décrire, tu n'y arriveras pas. »)
☐ p. 38
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Le roman semble, dès ses premières pages,
accorder une place et un rôle non négligeables
à l'insularité. Jeunes, Jean (le narrateur) et
son frère Paul ont lu “ Les Enfants du
capitaine Grant ” : “ L'histoire
de l'expédition de Lord Glenarvan à la recherche
de l'île où le capitaine avait trouvé
refuge avec ses deux compagnons nous faisait rêver. Nous nous
imaginions prisonniers avec lui dans cette île perdue,
attendant à la tombée du jour, sur un rocher, une
délivrance qui n'arrivait jamais ”.
Les frères, depuis, parlant de leur père, disent Grant.
L'existence de Jean et de Paul
se déroule en huis-clos, au sein d'un cercle familial et
amical réduit à l'extrême. Trois
perspectives s'y ouvrent parcimonieusement : l'île
(Groix, terme de brèves échappées), la
musique jouée en famille (Saint-Saëns,
Fauré, Bach, …) et l'Egypte.
Après la mort de
Paul, le récit se referme sur une scène
où se mêlent les trois motifs qui ont
discrètement rythmé le cours des vies
parallèles de Paul — l'autre
moi — et du narrateur. Jean retrouve sa
belle-mère, la seconde femme de Grant,
au Caire ; elle joue du violoncelle dans un orchestre
féminin qui anime les soirées d'un
hôtel “ situé
à la pointe extrême d'une île,
là où les deux bras du fleuve se
rejoignent ”.
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NOTE
DE L'ÉDITEUR
: Deux frères, Paul et Jean, si proches l'un de
l'autre que rien
ne peut les séparer, apprennent dès l'enfance
à se
partager les tâches. A Paul revient d'écrire,
à
Jean de vivre. Mais, trop dépendants l'un de l'autre, ils
n'y
parviennent vraiment ni l'un ni l'autre. Paul se perd dans
l'écriture, et Jean, ne pensant qu'à l'aider, en
oublie
de vivre. C'est Jean qui parle, après la disparition de son
frère : il s'efforce, avec un grand scrupule, de
rendre
compte de leur étrange relation. La mère est
morte la
première, puis Grant, le père. Jean reste seul
avec
Léa, la deuxième femme de Grant, pour veiller sur
Paul
malade et l'accompagner jusqu'à sa fin.
Une fois
ce “ rapport ” terminé, Jean
décide de poursuivre son récit. Il a
l'impression, alors,
que son frère s'éloigne. Sa vie
s'ouvre : des
personnages restés jusque-là dans l'ombre
prennent une
dimension inattendue, il découvre une autre Léa
et aussi
un autre Paul.
On
croirait lire une histoire réelle. Tout est là,
restitué avec limpidité. Reste l'indicible. Il
est
là aussi, entre les lignes, comme il l'est dans la vie entre
les
êtres.
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EXTRAIT |
Nous
avons débarqué dans l'île un soir de
décembre, peu avant Noël. Paul était
resté
à Nanteuil. Il faisait nuit, et les deux phares qui gardent
l'entrée du port, le rouge à gauche, le vert
à
droite, étaient allumés. Je suis monté
sur le pont
avec Léa au moment où le pilote a fait marcher sa
sirène. C'était ce signal que nous attendions
autrefois,
serrés autour de Grant, quand nous arrivions par le bateau
de
six heures. Il voulait dire que nous allions accoster. En l'entendant,
je l'ai revu, lui, notre capitaine, appuyé à la
balustrade, dépassant de la tête la foule des
passagers,
comme s'il commandait la manœuvre, et les larmes me sont
venues
aux yeux. Mais Léa ne s'est apperçue de rien. Les
rares
voyageurs, des habitants de Groix pour la plupart,
commençaient
à descendre avec leurs paquets. Léa m'a pris par
le
bras : “ Tu viens ? J'ai
froid. ”
☐ p. 189 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Alexis Weinberg, « Au nom du frère (2002) et Mon roman et moi (2003) : le roman par-delà la théorie », in Bernard Pingaud et le temps de l'écriture, Paris : Classiques Garnier (Etudes de littératures des XXe et XXIe siècles, 83), 2019
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mise-à-jour : 28 février 2020 |
Bernard Pingaud, né en 1923, est mort le 25 février 2020. Romancier de l'ère du soupçon, il a consacré une part de son temps à la défense du statut de l'écrivain. |
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