EXTRAIT |
Cité Pierre Lenquette,
10 juin 1989
Vieux Jo,
[…]
Lorsque le rituel fut clos, au
bout d'une dizaine de minutes, les femmes versèrent le
thé et les discussions reprirent gaiement.
Alors Vieux Louis s'est tourné
lentement vers moi, les larmes aux yeux, et il ma dit une chose
incroyable : « Tu es l'ami de mon fils Zash,
là-bas en France, alors ici, tu es comme mon fils, tu
es mon fils, c'est ici chez toi. La coutume, reprit-il, c'est
pour te donner un visage, tu t'abaisses devant nous pour que
nous puissions te relever. Tu n'es plus un étranger ».
Je ne savais plus quoi dire.
On a gueuletonné royalement :
langoustes, salades et d'autres mets dont le nom m'échappe.
Tu diras à Zash que j'ai distribué presque toutes
ses lettres et cadeaux. Je n'ai pas encore vu les parents d'Alphonse
qui habitent sur la Grande Terre. J'irai les voir quand je me
serai un peu imbibé d'ici. S'ils sont d'une gentillesse
et d'un accueil extraordinaires, je devine au fond de leur regard
une lueur de suspicion (je ne sais pas si c'est le bon mot),
comme s'ils attendaient quelque chose que je n'arrive pas à
définir. Et puis j'ai peur, je ne sais pas de quoi, de
cette différence sans doute, je dois la transcender mais
comme c'est dur et comme vous me manquez, tous. Pense à
moi.
Pierre ☐ p. 11
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