La Guadeloupe
en zigzag : Journal du gendarme à cheval Georges Bonnemaison,
1900-1903 / présenté par René Martin ; notes
et commentaires de Jacqueline Picard. - Le Gosier (Guadeloupe) :
Caret, 2001. - 267 p. : ill. ; 19x25 cm. - (Petite bibliothèque
du curieux créole, 4).
ISBN 2-912849-03-9
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JACQUELINE PICARD : […]
Imaginons Bonnemaison à son bureau,
effilant ses moustaches devant son cahier et son encrier, désireux
de coucher sur le papier, pour lui, sa famille, ses futurs collèges,
ses impressions […]. Le journal, émaillé
de ses par exemple, signale bien ses étonnements,
la spontanéité et la sincérité de
son témoignage. Mais ce balancement de sa pensée
dans un désir de pondérer ses propos, révèle
également le familier des constats, des procès-verbaux :
entendre les uns et les autres, affirmer, émettre des
hypothèses, tous ces actes mentaux relèvent d'une
technique apprise. Vérifier par soi-même, ce que
l'on a entendu, ce que l'on a lu. […]
L'acculturation de Bonnemaison est avant tout l'apprentissage
d'une spécificité créole « déconcertante »
qui ne manque pas de surprendre (et d'agacer) ce représentant
de l'ordre, qui bouleverse ses habitudes et qui l'exclut. Il
est remarquable, à ce propos, qu'au début du texte
le mot créole désigne plutôt les blancs
créoles, mais qu'à la fin, il enveloppe sous ce
terme la société dans son ensemble, toutes couleurs
confondues, s'y incluant lui-même. Il découvre très
vite ce qu'il n'avait pas soupçonné, le problème
complexe de la couleur, et les subtiles hiérarchies qui
y sont attachées. Il est perplexe, embarassé, en
créole on dirait qu'il est mêlé.
[…]
Tout de même, l'Autre est quand même un drôle
de corps !
Que sait-on aujourd'hui de cette vie populaire qui apparaît
si peu dans les journaux, les archives ? Les quelques évocations
de Bonnemaison sont donc précieuses pour redonner forme
à des traditions souvent perdues […] ou bien qui ont
pris d'autres formes, se sont folklorisées […].
[…]
Un autre élément intéressant est la manière
dont s'exprime le sentiment de supériorité socio-raciale
de l'Européen ; ce sentiment n'est même pas
sujet à débattre : il est évident,
en ce début du XXe siècle, qu'une barrière
sépare les peuples civilisés des « peuples
enfants ». Mais dans les Antilles métissées,
cette barrière n'apparaît pas infranchissable, et
l'on sent une gêne à affronter le problème :
la question de la couleur, « c'est une affaire délicate »,
dit-il.
☐ Postface, pp. 229-230
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SOMMAIRE |
- Introduction (René Martin), p.1
- La Guadeloupe en zigzag (Georges Bonnemaison), p. 9
- Postface (Jacqueline Picard), p. 215
- La carrière de Georges Bonnemaison, p. 239
- Cartes, p. 244
- Notes, p. 246
- Bibliographie, p. 262
- Table des illustrations, p. 264
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EXTRAIT |
À trois heures tout le monde est sur pied
en même temps : la vigie vient de crier « Terre ! »
Oh ! le mot magique pour des gens n'ayant vu depuis treize
jours que l'eau et le ciel et qui sur ces treize jours ont eu
mauvais temps pendant plus de dix !
C'est la Désirade ou terre désirée que l'on
vient de nous signaler. Ce fut la première terre que découvrit
Christophe Colomb à son deuxième voyage, d'où
le nom qu'elle porte.
D'abord nous n'apercevons rien ; mais peu à peu une
sorte de nuage paraît à l'horizon et s'élève
de plus en plus ; c'est bien une île qui se dessine.
Nous gouvernons en plein dessus, et elle grandit rapidement.
De loin c'est un grand rocher assez semblable à une énorme
muraille très élevée qu'on croirait mise
là pour nous barrer la route. Nous en sommes suffisamment
rapprochés pour distinguer (il faut voir avec quel bonheur)
quelques arbres, quelques cabannes ! … Puis, la longeant
au sud à moins d'un kilomètre nous apercevons la
léproserie où l'on soigne tous les lépreux
de la Guadeloupe et ses dépendances.
Manifestement nous sommes en vue de la pointe des Châteaux,
l'extrémité la plus orientale de la Guadeloupe.
Cette pointe tire son nom de la forme bizarre des rochers présentant
l'aspects de vieilles fortifications.
Nous commençons à longer la côte sud de la
Grande-Terre, bordée de falaises basses à l'aspect
sauvage quoique couvertes d'une vigoureuse végétation.
Derrière nous se perd la Désirade qui de ce côté,
ressemble mais en beaucoup plus grand au rocher de Tombelaine
vu du mont St-Michel. À ce moment, une averse, comme il en tombe
seulement sous les tropiques, vient nous masquer complètement
la terre, bien que nous en soyons à sept ou huit cents
mètres à peine. Malgré la tente, le pont
est inondé, et c'est un sauve-qui-peut général.
Mais la joie de voir la terre est si grande que l'on prend tout
du bon côté. […]
L'averse dure peu et l'on nous montre au sud la « Petite-Terre »
composée de deux îlots dont l'un est surmonté
d'un phare ; puis beaucoup plus loin, presqu'à l'horizon,
Marie-Galante, notre destination. Notre cœur bat un peu. Que
nous réserve cette côte à peine distinguée
dans le lointain ?
☐ Chapitre VI, pp. 25-26
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mise-à-jour : 16 octobre 2007 |
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