JEAN-MICHEL GALANO : Ce
livre rassemble les chroniques hebdomadaires écrites par le
président du Sinn Fein, de 1993 à 1997, pour un
journal américain destiné essentiellement aux
Américains d'origine irlandaise. Cela est en soi
révélateur et sur le Sinn Fein et sur les
Etats-Unis. Tenons-nous en au Sinn Fein : la
stratégie de lutte armée, qui faisait de cette
organisation la simple vitrine politique de l'IRA, s'essouffle
dès le début des années 1980.
L'émotion considérable soulevée par
les grèves de la faim en 1981 a
révélé le poids d'une opinion publique
internationale qu'il s'agissait de ne pas s'aliéner. Le
choix du Sinn Fein, choix profondément nationaliste, a
été de travailler prioritairement en direction de
la diaspora irlandaise aux Etats-Unis, incontournable
électoralement. Le fait que Gerry Adams en personne ait
écrit ces articles reflète cette
priorité politique.
[…]
Adams excelle à
commenter l'actualité au fil de la semaine, dans des
chroniques très politiques, d'une grande fermeté
de ton, sans que la personnalité de l'auteur s'efface
complètement : un homme qui prend au
sérieux sa cause mais pas sa personne, attaché
aux valeurs familiales, aux commémorations, à la
dimension symbolique des lieux et des rencontres.
Surtout, Gerry Adams se livre
à un remarquable travail de rigueur politique. Il n'a pas
son pareil pour dénoncer les discours lénifiants
qui renvoient dos à dos agressés et agresseurs,
pour dénier à tel ou tel homme politique
britannique le droit de parler au nom d'un pays qui n'est pas le sien
— tout cela sans jamais plus d'agressivité que
nécessaire. On apprend ainsi au cas par cas, et c'est la
véritable richesse du livre, à
décortiquer la langue de bois colonialiste, qui transforme
par exemple les provocations en représailles. Gerry Adams
est un Roland Barthes engagé. On apprend aussi à
voir comment les coups médiatiques peuvent servir
à éclipser les enjeux politiques.
Le livre a toutefois des
limites, dues aux fonctions mêmes de son auteur ;
soucieux de se faire reconnaître comme un partenaire
politique à part entière, Gerry Adams
évite de s'engager trop précisément
sur les sujets susceptibles de diviser l'opinion
nationaliste : options économiques, positionnement
par rapport au mouvement ouvrier […] ; et si sa
solidarité envers les nationalistes basques est clairement
affirmée […], il ne dit rien de Cuba, ou du
rôle des USA en Amérique centrale (risquant de se
placer ainsi en porte-à-faux de l'opinion publique
irlandaise).
Cela étant, on ne
peut que se féliciter du souci très ferme qu'il
manifeste de voir les pourparlers de paix s'ouvrir largement au
mouvement social et culturel dans la diversité de ses
composantes. De même, la réalité d'une
opinion publique loyaliste est de plus en plus prise en compte au fil
du livre, avec l'idée qu'on ne fera pas
l'économie de concessions mutuelles et la
référence de plus en plus appuyée
à la démocratie. Tel qu'il est, ce livre montre
sur le vif l'effort, nécessairement contradictoire, consenti
par le mouvement nationaliste pour s'orienter vers l'avenir sans renier
ses racines ni son identité. Difficile et
nécessaire mutation. ☐ Regards, 143, Février 1999
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « An Irish voice : the quest for peace », Dingle (Co. Kerry) : Mount Eagle, 1997
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- « Sur
la route de Belfast : carnets de prison »,
Paris : Éd. Austral, 1994
- « Irlande
libre : vers une paix durable »,
Rennes : Apogée ;
Spézet : Coop Breizh, 1996
- « Notre
jour viendra », Paris : Flammarion, 1996
- « La
rue, et autres nouvelles », Bayonne :
Gatuzain, 2000
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