Malacarne /
Giosué Calaciura ; traduit de l'italien (Sicile)
par Lise
Chapuis. - Montréal : Les Allusifs, 2007. -
173 p. ; 20 cm. - (Les Allusifs, 051).
ISBN
978-2-9228-6854-8
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NOTE
DE L'ÉDITEUR : Malacarne
est un long monologue, celui d'un petit truand (un
“ malacarne ” en sicilien) de la
mafia
emporté dans le récit de sa propre vie fait au
juge qui
est ou pourrait être devant lui, l'interroger ou
l'écouter, en tout cas présent dans cette
apostrophe
récurrente et lancinante :
“ monsieur le
juge ”.
Cette
apostrophe marque et ponctue l'élan du flux verbal, de
même que la formule anaphorique « nous
n’étions plus rien » qui
revient en
début de chaque chapitre, ou plutôt de chaque
remise en
route, respiration peut-être, de cette parole qui prend peu
à peu des accents épiques.
C'est en
effet toute la vie, l'évolution de la mafia
contemporaine qui est brassée dans une sorte de
fantasmagorie
générale avec ses luttes fratricides et ses
combats de
clans, et c'est la mort qui domine et finalement règne sur
cet
univers désespéré livré en
permanence
à sa propre destruction.
Comme dans
le roman précédemment publié, Passes noires (Sgobbo),
l’écriture de Giosuè Calaciura ne
cherche pas la
minutie du compte-rendu journalistique mais brasse le réel
et
l'imaginaire, le sordide et le grandiose dans une langue
poétique aux accents d'un baroque moderne.
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Giosuè
Calaciura est né à Palerme en 1960. Il vit et
travaille
à Rome. Journaliste, il collabore
régulièrement
avec de nombreux quotidiens et diverses revues ; il
écrit également pour le
théâtre et la radio.
En 2002, Passes noires
a
été finaliste à l’un des
prix
littéraires italiens les plus prestigieux, le
“ Campiello ”. |
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EXTRAIT |
Des
ténèbres de la mémoire, monsieur le
juge, nous
revint sur les chemins d'un autre continent un vieux parent
d'association, envoyé dans sa terre natale parce que la
maladie
de sa tumeur au cerveau le tuait d'une mort lente et cruelle, moins
cependant que la nostalgie de ne pouvoir se revoir dans le souvenir
à l'aube de sa fortune de représentant de
l'association
à l'étranger, quand il quitta ces quais avec les
seules
hardes qu'il avait sur le dos et la peur atavique de mourir
assassiné sans avoir vu ce qu'il y avait de l'autre
côté de la mer.
Il
était tellement antique, quand nous l'accueillîmes
en
le soutenant par le bras, qu'on lisait sur son visage, semblable au
nôtre mais déformé par les miroirs de
l'éloignement et de l'histoire différente qu'il
avait
vécue, les cicatrices préhistoriques de
l'époque
où on voyageait seulement par mer, où
après deux
semaines de tempête il avait débarqué
dans
l'île de la quarantaine, dans le pays qui l'avait fait riche
mais
pas comme vous, monsieur le juge, parce qu'il avait la pudeur de
l'argent et qu'il ne savait ni lire ni écrire mais seulement
graver des graffitis sur les murs, et qu'il parlait un dialecte des
origines qui n'existait plus, si bien qu'on lui demandait s'il vous
plaît don Vito, parlez votre langue
d'émigré au
pays des jouets, on vous comprendra mieux, et ses larmes de nostalgie
étaient si abondantes qu'on ne savait pas comment lui faire
plaisir, monsieur le juge, il nous demandait les gâteaux des
desserts de fête que personne d'entre nous n'avait jamais
mangés ni bénis, parce qu'ils étaient
plus
antiques que le pain lui-même, et il se prostrait dans son
idiome
de l'âge de pierre qui ne signifiait plus rien, et pour le
contenter nous nous ébahissions de ses récits, et
du fait
que là-bas de l'autre côté de la mer
ils avaient
inventé les machines à vapeur qui avancent, que
les
femmes sont faites de manière différente et ont
des
couilles comme les hommes, mangent du pop-corn et des chiens chauds,
parlent une langue faite de I grecs, de doubles V et de ces X qu'on met
sur les grilles du loto, et qu'on ne trouve pas le ciel quand on le
cherche parce qu'il a été
démonté et
remonté plus haut pour faire de la place aux têtes
des
gratte-ciel qui autrement n'auraient pas pu y rentrer. Et
même
les montres marquent un temps différent de celui d'ici.
☐ pp. 78-79 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Malacarne »,
Milano : Baldini & Castoldi, 1998
- «
Urbi et Orbi [suivi de] Malacarne »
préface de
Jérôme Ferrari, Lausanne : Noir sur blanc
(Notabilia,
36-37), 2017
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- « Passes
noires », Montréal : Les
Allusifs, 2005 ;
Paris : Gallimard (Folio, 4491), 2007
- « Conte
du bidonville », Montréal : Les
Allusifs, 2008
- « Borgo
Vecchio », Paris : Noir sur blanc (Notabilia, 51), 2019 ;
Paris : Gallimard (Folio, 6879), 2021
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mise-à-jour : 15
janvier 2021 |
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