|
C'est comme un échange
simple
et vrai,
depuis
toujours.
Jean
Chèvre |
Jean Chèvre s'est rendu pour la première fois
à
l'île de Sein pour y passer des vacances en 1948.
Première
rencontre marquante — il y reviendra chaque
année
accompagné de sa femme, approchant patiemment les lieux et
les
êtres, écoutant et regardant, nouant des
amitiés durables.
Les photographies prises par Jean
Chèvre parlent d'un monde qui décline. C'est ce
qui d'abord frappe
à les regarder aujourd'hui : austère
costume des
femmes, épais sabots de bois, bateaux de pêche aux
voiles
ferlées le long des quais, entassement des casiers et jeu du
vent avec les pavillons de pêche sur le terre-plein, chevaux
traînant de lourdes charettées de
laminaires …
Rétrospectivement tout paraît à l'image
de ce marin
surpris face à la mer, qui “ savait
alors /
qu'il avait moins de chemin à faire pour rejoindre les
morts / qu'il en avait fait sur la mer pour nourrir les
vivants ”.
Mais ces signes de la vie qui
passe, n'occultent pas ceux de la vie qui
s'obstine — Sein est île de
résistance. Avec ferveur, Jean
Chèvre relève accomplissements et
promesses : regard
lumineux de Simon, miracle d'une vague apaisée dans l'enfer
de
la chaussée de Sein, sollicitude d'un père pour
son fils
qui débarque après vingt jours passés
au phare
d'Ar Men, “ homme
seul … tout à la
joie / de retrouver cette petite fille de son
sang ”.
Au fil des images se
construit une scénographie où l'on pressent le
flux ininterrompu d'un élan immémorial. Ainsi
dans l'ouverture
creusée entre deux pignons aveugles :
“ il
semble que, par cet étroit couloir, va surgir une
présence, jaillir une voix ”. Ailleurs,
au
détour d'un quai inondé de soleil
“ apparaissent, à
l'avant-scène / les
éternels personnages du drame (…) On attend des
phrases
connues, celles qui accueillent Œdipe : / Qui donc
es-tu ? … ”
|
EXTRAIT |
Que me veut cet
étranger trop curieux,
bardé de boîtes noires et
crachant la lumière comme un phare ?
En quoi peut l'intéresser un vieil homme fatigué
assis au rebord de ce quai ?
Que fera-t-il de mon image ? Qu'en dira-t-il ?
On a déjà dit sur l'île,
et publié sur elle et nous,
tant de choses que nous ne souhaitions point.
Je vais tout vous avouer, Simon,
pour dissiper à jamais vos craintes :
je cherche une chose très simple dans votre visage
tanné,
la miraculeuse lumière de vos yeux clairs. |
|