Armen / Jean-Pierre Abraham. -
Paris : Payot, 2021. -
192 p. ; 17 cm. - (Petite bibliothèque).
ISBN 978-2-228-92785-7
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NOTE DE L'ÉDITEUR : À
l'ouest de l'île de Sein, en mer d'Iroise, se dresse Ar-Men, que
les gardiens de phare surnomment “ l'enfer des
enfers ”. Ayant soudain troqué ses études de
lettres pour la vie en mer, le jeune Jean-Pierre Abraham, 25 ans, en
devient le gardien, en 1961, au terme d'une formation complète
de plus de deux années à ce métier.
On est
très actif dans un phare, mais il reste des moments pour le
vide, les rêveries et la peur. Abraham tient avec trois livres
qui ne le quittent pas : un album de Vermeer, un autre sur un
monastère sistercien, et un recueil du poète Pierre
Reverdy. “ Pourquoi êtes-vous ici ? ”,
lui demandera-t-on un jour. “ Je ne sais pas,
répondra Abraham, il me semble que j'avais l'impression que la
vie se passait sans moi et à mon insu, si bien que j'ai
décidé un beau jour, enfin, de changer. J'ai vu Ar-Men,
je suis passé par là en bateau, et puis tout d'un coup
j'ai décidé de venir là. J'avais trouvé
vraiment mon lieu. Je crois que c'est ce qu'il faut chercher, trouver
le lieu où l'on puisse devenir soi-même,
s'épanouir, être à sa place, bien dans sa
peau. ”
Armen est un chef-d'oeuvre.
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THIERRY
GUIDET : Jean-Pierre Abraham a fait le
choix [du phare d'Ar-Men] comme on décide d'entrer dans un
monastère. Ce sera le lieu de l'attente. Les mains
occupées par les besognes routinières comme le
moine est requis par le cycle des rites, le gardien de phare se fait
guetteur de lui-même : “ Si
quelque chose doit surgir, ce ne peut être que du fond de
moi. Et voilà que je guette encore, comme si on allait
frapper à la porte ”.
☐
Armen, octobre 1988
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EXTRAIT |
A l'allumage, dans le nordé gris, cet
infime point lumineux, sursautant à de longs
intervalles : le phare de Saint-Matthieu. Il a disparu
maintenant. Le feu de la Bouée Occidentale
lui-même est peu sûr.
Cette lente houle qui s'installe, si
particulière, le silence entre les vagues troublé
de sourds grondements : je l'ai toujours vue
précéder mystérieusement la brume. Et
j'ai les yeux brûlants, comme à chaque fois.
Je la connais bien. Enfant,
déjà, longtemps à l'avance je pouvais
prévoir sa venue. Je percevais comme une usure de l'air.
Là où tout le monde s'extasiait, face aux
paysages les plus éclatants, il m'arrivait de frissonner
devinant le gris du dessous. J'en saluais la menace dans les remous de
l'eau, dans les couleurs éteintes. Je surveillais la ligne
d'horizon. Au fond je ne me résignais guère.
Et j'aimais certains tableaux de Vermeer 1
parce que je croyais sentir la brume aux fenêtres, encore
ensoleillée, encore retenue par les vitres, à
peine. Alors le monde à l'intérieur prenait toute
sa vérité. Il y avait le visage de cette joueuse
de luth. Elle accorde son instrument. Elle se tourne vers la
fenêtre et tout à coup devient livide.
☐
pp. 64-65 (pagination de l'édition Le Tout sur le tout, 1988)
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1. |
“ Parmi
les trois livres que Jean-Pierre Abraham emporte avec lui dans son
phare, au large de Sein, il y a un album de peintures de Vermeer. La
nuit, pendant sa veille, le monde calme et lumineux du peintre
s’affronte à la violence des rafales et des
vagues, et
vacille un peu entre les passages de la lampe du phare. Le narrateur a
aussi, piquée au mur, une reproduction de la Jeune Fille au turban
(celle qu’on appelle maintenant " la jeune fille
à la perle "), qui le suit
partout. ” — Christine
Lapostolle, La
jeune fille sans phare, Libération,
14-15 juillet 2012 (supplément Été,
p. VII). |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Armen »,
Mane : Robert Morel, 1967
- « Armen »,
Paris : Seuil, 1967
- « Armen »,
Paris : Le Tout sur le tout, 1988, 1995, 2004
- « Armen »
in Le roman des phares, textes réunis
et présentés par Dominique Le Brun,
Paris : Omnibus, 2001
- « Armen »
texte intégral interprété par Yves
Adler (1 CD
audio MP3), Houilles : Le Livre qui parle, 2011
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“ Armen ”,
note de
lecture par Philippe Savary — Le Matricule des anges, 23,
juin-juillet 1998 [en
ligne]
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- Jean-Pierre
Abraham, « La
place royale », Cognac : Le Temps
qu'il fait, 2004
- Jean-Pierre
Abraham et Michel Thersiquel, « Une île nouvelle »,
Bégard : Filigranes éd., 1994
- Michel
Thersiquel et Jean Pierre Abraham, « Bretagne, les chemins de
la mer », Brest : Le
Télégramme, 1999
- Jean-Pierre
Abraham et Yves Marion,
« Journal d'hiver »,
Bazas : Le Temps qu'il fait, en coéd. avec Le Tout
sur le tout et la Ville de Douarnenez, 2012
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mise-à-jour : 6
avril 2021 |
Né
à Nantes en 1936,
Jean-Pierre Abraham
est mort en 2003.
Ses
cendres ont été dispersées en vue des
Glénan. |
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