Flann O'Brien

Swim-Two-Birds

Les Belles lettres

Paris, 2002

bibliothèque insulaire
   
Irlande
parutions 2002
Swim-Two-Birds / Flann O'Brien ; trad. de l'anglais (Irlande) par Patrick Hersant. - Paris : Les Belles lettres, 2002. - 299 p. ; 21 cm.
ISBN 2-251-44219-7
Après quelques temps encore [Sweeny] reprit son envol et parvint à l'église de Snámh-dá-én (ou Swim-Two-Birds), sur la rive du Shannon ; c'était un vendredi …

p. 93

NOTE DE L'ÉDITEUR
: Flann O'Brien (1911-1966) est né et a vécu toute sa vie en Irlande, où il a été élévé en gaélique aussi bien qu'en anglais. Haut fonctionnaire, il a été, parallèlement à son métier, écrivain et chroniqueur (ses articles dans l'Irish Times, sous le pseudonyme de Myles na gCopaleen, sont des modèles de satire et d'humour, d'ailleurs régulièrement réimprimés). Son premier roman, At Swim-Two-Birds (1939) est aussi son chef-d'œuvre.
Le narrateur, un jeune étudiant paresseux qui vit avec son oncle et, plutôt que de suivre ses cours, préfère fréquenter les pubs de Dublin avec ses amis, est aussi écrivain. De cet argument très simple va s'ensuivre le plus extravagant, le plus fantaisiste, le plus drôle des romans, et même roman dans un roman, car nous sont aussi racontées les aventures des personnages créés par notre « héros » dans une parodie des romans pulp doublée d'une satire de la celtitude. On verra ainsi une scène où policiers de Dublin, cow-boys et indiens se battent les uns contre les autres, tandis que d'autres cow-boys courent la campagne en compagnie de fées et de démons de la mythologie irlandaise. Ayant lu ce roman, James Joyce a dit de Flann O'Brien : « Cet homme a le génie comique ».

Comme les romans de Joyce d'ailleurs, At Swim-Two-Birds est aussi un livre très novateur, qui a eu une influence considérable sur l'imaginaire irlandais. Méconnu en France, il est en Irlande aussi célèbre et peut-être aussi aimé qu'Ulysse.

JORGE LUIS BORGES : J'ai énuméré de nombreux labyrinthes verbaux ; aucun n'est plus complexe que le dernier roman de Flann O'Brien : At-Swim-Two-Birds. Un étudiant de Dublin écrit un roman sur un aubergiste de Dublin qui écrit un roman sur les clients de sa taverne (parmi lesquels se trouve l'étudiant), lesquels, eux aussi écrivent des romans où figurent l'aubergiste et l'étudiant, ainsi que d'autres auteurs écrivant sur d'autres romanciers. Le livre est fait des très divers manuscrits de ces personnages réels ou imaginaires, manuscrits copieusement annotés par l'étudiant. At-Swim-Two-Birds est non seulement un labyrinthe, c'est aussi une discussion sur les multiples façons de concevoir le roman irlandais et un répertoire d'exercices en vers et en prose, qui illustrent ou parodient tous les styles irlandais. L'influence magistrale de Joyce (architecte de labyrinthes, lui aussi, Protée littéraire, lui aussi) est, dans ce livre multiple, indéniable sans toutefois être écrasante.

Chronique publiée dans la revue « El Hogar », 2 juin 1939, in : Œuvres complètes (tome 1, p. 1223), Paris : Gallimard (La Pléiade), 1993

INCIPIT    Ayant placé dans ma bouche une quantité de pain suffisante pour une mastication de trois minutes, je m'efforçai de suspendre mes facultés de perception sensorielle afin de m'abstraire dans l'intimité de mon intellect, tandis que mes yeux et mon visage prenaient un air absent et préoccupé. Je concentrai ma réflexion sur les travaux littéraires qui occupaient mes heures de loisir. Qu'un livre dût avoir un seul début et une seule fin, voilà contre quoi je m'insurgeais. Un bon livre peut avoir trois incipit en tous points dissemblables, reliés entre eux dans la seule prescience de leur auteur, et du reste plus de cent fins différentes.

   Exemples de trois incipit distincts — premier incipit : le Lutin Mac Phellimey, membre de la classe des diablotins, était assis dans sa hutte au cœur d'une forêt de sapins ; il méditait sur la nature des nombres en séparant par l'esprit les pairs et les impairs. Il était assis devant son diptyque, ancienne écritoire à tablettes doubles dont la face interne est recouverte de cire. De ses doigts rugueux aux ongles longs, il caressait une tabatière parfaitement sphérique, tout en sifflant une cavatine charmante par une brèche entre ses dents. Cet homme fort courtois était honoré par le traitement généreux qu'il accordait à sa femme, descendante des korrigans de Carlow.

   Second incipit : Si son apparence ne trahissait rien de particulier, M. John Furriskey se distinguait toutefois par une qualité peu commune — né à l'âge de vingt-cinq ans, il était venu au monde avec des souvenirs que ne justifiait aucune expérience personnelle. Ses dents, bien formées mais jaunies par le tabac, comportaient deux molaires plombées et une canine gauche menacée de carie. Sa connaissance modérée de la physique s'arrêtait à la loi de Boyle et au paralélogramme des forces.

   Troisième incipit : Finn Mac Cool était un héros légendaire de l'Irlande ancienne. D'une puissance mentale limitée, il jouissait cependant d'un corps à la musculature superbe. Chacune de ses cuisses, épaisse comme une panse de cheval, était soutenue par un mollet épais comme la panse d'un poulain. Cent cinquante enfants pouvaient jouer à la balle contre son dos, assez large pour arrêter une troupe franchissant un col de montagne.

   Au fond de ma mâchoire, le croûton que j'étais en train de mastiquer réveilla une douleur dentaire. Je fus ainsi rappelé à la perception de ce qui m'entourait.

pp. 11-12
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « At Swim-Two-Birds », Londres : Longmans, 1939
  • « Kermesse irlandaise » trad. par Henri Morisset, Paris : Gallimard, 1965
  • « Une vie de chien », Paris : Gallimard (Du monde entier), 1972
  • « Dublinoiseries »,  Paris : Jean-Cyrille Godefroy, 1983 ; « The best of Myles », Paris : Les Belles lettres, 2011
  • « Le pleure-misère, ou La triste histoire d'une vie de chien », Toulouse : Ombres (Petite bibliothèque, 42), 1994
  • « Le troisième policier », Paris : Phébus (Libretto, 129), 2003
  • « L'archiviste de Dublin », Paris : Phébus (Libretto, 164), 2004
  • « Faustus Kelly [suivi de] La soif », Marseille : Vagabonde, 2011
  • « Romans et chroniques dublinoises », Paris : Les Belles lettres, 2015
  • Pascale Amiot-Jouenne, « Les métamorphoses de " Sweeney " dans la littérature irlandaise contemporaine », Caen : Presses universitaires de Caen (Quæstionnes), 2011
  • Monique Gallagher, « Flann O'Brien, Myles na Gopaleen et les autres : masques et humeurs de Brian O'Nolan, fou-littéraire irlandais », Villeneuve d'Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 1998
  • Thierry Robin, « Flann O'Brien : un voyageur au bout du langage », Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2016
→ Monique Gallagher, « Deux versions modernes de la Légende de Suibhne : At Swim-Two-Birds de Flann O'Brien et Sweeney Astray de Seamus Heaney », Etudes irlandaises, 1992, Vol. 17, 1, pp. 47-61 [en ligne]

mise-à-jour : 21 novembre 2017

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