| J'ai le souvenir
de nos vies enfermées entre le rempart des montagnes
et celui de la mer qui cernent nos pensées, même
lorsque nous sommes ailleurs … |
NOTE DE L'ÉDITEUR : Monsieur Jean se heurte, protozoaire
habillé et peureux, aux parois de l'île et du monde,
dans un temps indistinct où ses actes futurs lui apparaissent
en souvenir.
Recueilli par Madame Élisa,
il arpente les rues sans jamais atteindre ces personnages qui
l'entourent dans le quartier du petit Bazar : sa logeuse,
Grimasié, ses amours clos dans le fantasme.
Si exister, c'est se délivrer
de la stagnation, Monsieur Jean mène une « existence
contestable », séparé d'autrui,
du narrateur qu'il masque, et de lui-même jusqu'à
devenir son propre personnage : « Alors il
se leva, la paroi le guida jusqu'au boucan tout proche, et là,
sur les pierres noircies du foyer, je brûlai l'un après
l'autre les vestiges de ma vie récente ».
A La Réunion, il y avait
une exigence ancienne et absolue : délivrer la pensée
du doudouisme misérabiliste et des caricatures. Aujourd'hui,
la voie est libre. Dans Notes des derniers jours, le protagoniste
vit le malheur, le plus grand, celui, fatal, de la tragédie.
Pourtant, enfin, ce malheur lui appartient : il est de sa
responsabilité de le vivre. Le personnage n'est pas relatif,
soumis à tel ou tel maître, à tel ou tel
poncif ressassé. Comme Antigone ou Œdipe, ou selon les
voies des récits de la Grande Île, Monsieur Jean,
tout petit et écrasant, est en relation avec nous tous,
riverains de toutes les mers grosses de fables.
Edward Roux ❙ Pierre-Louis Rivière, né en 1951, poursuit l'essentiel
de son travail théâtral en tant que comédien,
musicien, metteur en scène et auteur dramatique, au sein
du théâtre Vollard. Parallèlement, il enseigne
à l'École d'Architecture et à l'École
des Beaux-Arts de La Réunion, et participe régulièrement
au mensuel satirique Le Margouillat (Les Aventures de
Clermance Kilo, voyante extra-lucide, feuilleton). Notes des
derniers jours est son premier roman.
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EXTRAIT |
Je vois la côte vierge
de la Diva Morgabim arabe du portulan d'Alberto Cantino, une
île imaginaire encore dans le regard mélancolique
et résolu des capitaines portugais de Praia do Restelo,
qui arment leurs navires au pied de la Tour de Bélém,
à l'embouchure du Tage doré. Je vois la mer très
bleue au sortir de la rade de Lisbonne, je la regarde moutonner
à l'horizon des navires du Tristao da Cunha des chants
de Camoëns. Du pont d'un boutre arabe je suis les rives
d'Al-komr au bord du Mozambique. Je suis à Mangalor. J'aborde,
après le Grand Voyage, au pays des lémures, à
la terre des ancêtres ZafiRaminia, au royaume de Matacassi.
Je regarde l'écume grise dans le sillage des bateaux qui
partent pour des voyages sans espérance vers des îles
à sucre ou les fermes boers sur les terres hottentotes.
Je suis dans les rues de Paris, dans la Chine ou dans l'Inde,
je suis aux premiers temps de l'île, puis au temps de l'enfance
et reviens au temps créole de Mme Élisa pour repartir
encore.
☐ p. 86
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Notes des derniers jours », Saint-Denis (La Réunion) : Orphie, 2011
| - « Carousel », Sainte-Clotilde (La Réunion) : Théâtre Vollard, 1992
- « Emeutes », Saint-Denis (La Réunion) : Grand océan, 1997
- « Le vaste monde », Chevagny-sur-Guye : Orphie (Autour du monde), 2014
- « Clermance Kilo, voyante extra lucide », Sainte-Clotilde (La Réunion) : Poisson rouge, 2015
- « Todo mundo = Tout domonn », Chevagny-sur-Guye : Orphie (Autour du monde), 2016
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