Adieu, la Tortue / R.P. Roger Riou. -
Paris : J'ai lu, 1976. - 439 p. ;
17 cm. - (Documents, 76).
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| Cette
île abandonnée de tous, stupide de
beauté inutile,
et insolente, je sentais qu'elle allait me dévorer tout
entier …
☐ p. 261 |
De ses premiers pas à son
entrée au
séminaire — il a vingt ans —, Roger Riou
a
mené la vie d'un voyou, ponctuée de
séjours forcés en
prison et en maison de réforme pour enfants moralement
abandonnés. Quand
il sort du séminaire en 1938, il demande à partir
auprès des plus pauvres ; on lui propose
Haïti, il y
passera trente ans dont vingt-deux sur l'île de la Tortue.Dans son ministère sur la Grande-Terre ou plus
tard à la Tortue, le père Riou s'approche
au plus près d'une réalité
dérangeante et
ne détourne pas les yeux face à la
misère et
à la détresse qui l'entourent, face aux
leçons de vie qu'il
reçoit quotidiennement de ses ouailles, face aux contraintes
assumées de son apostolat — il participe
activement
à la campagne
antisuperstitieuse (1945) qui vise le vaudou, ses
croyances et ses rites, ses officiants et ses fidèles.Humainement, ce témoignage vaut par
l'intensité du
dialogue intérieur entre deux voix, celle du voyou et celle
du
prêtre — l'exigence morale n'est pas
toujours
là où on l'attendrait ; historiquement,
le long
séjour (1938-1969) du père Riou permet de suivre
l'évolution des régimes politiques jusqu'aux
pires
excès de François Duvalier et, en
parallèle, le
tardif infléchissement de la position du clergé
qui ne se
fait moins complaisant que lorsque le pouvoir heurte directement ses
privilèges.Enfin, l'apostolat religieux,
humanitaire et médical de l'auteur sur l'île de la
Tortue
éclaire la situation d'une communauté de
véritables parias, rejetés de la Grande-Terre par
la
maladie, “ les fous, les syphilitiques, les
lépreux,
les tuberculeux ”. Le combat est rendu chaque jour
plus rude
par les manœuvres absurdes et criminelles du dictateur et de
ses
affidés, jusqu'à l'expulsion en 1969 : “ ce n'était pas le peuple qui me
renvoyait, mais
bien Duvalier et sa clique ! ” |
EXTRAIT |
Ce jour où j'ai mis le pied sur l'île de
la Tortue,
porté par un Noir solide, j'étais encore
persuadé
de n'y rester que quelques mois, comme l'avait dit
l'évêque.
Comme il n'y avait pas de
wharf, il a fallu recommencer les mêmes manœuvres
qu'à la Grande-Terre : porter les gens et les
marchandises,
traîner les animaux, etc. La mer était forte.
J'étais épuisé, vaguement malade. Un
petit cheval
m'attendait. Je songeais au petit presbytère
là-haut,
jusqu'où j'allais monter.
Et puis,
brusquement, je me suis senti littéralement envahi de
courage.
C'est qu'ils étaient là, sur la
plage … Eux,
tous, silencieux, ceux qui avaient besoin de moi. Ils savaient que le
missionnaire médecin arrivait, et comme ils
étaient chez
eux et non à la Grande-Terre, ils n'avaient pas honte. Ils
étaient là, avec le pian qui leur mangeait la
chair, et
la faim qui leur déformait le ventre. Et les enfants dont
les
yeux reflétaient la souffrance et l'espoir. J'ai su, tout de
suite, que c'est vers eux que Dieu m'appelait.
À mesure que je montais vers le
presbytère, je
réalisais l'immensité de ma tâche. Tous
ces gens
qui m'applaudissaient, qui me suivaient, attendaient tout de moi. Et je
n'avais rien. J'étais seul. J'étais pauvre. Et
comment
soigner les âmes sans soigner les corps ?
L'île du désespoir …
☐ pp. 260-261 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Adieu,
la Tortue », Paris : Robert Laffont
(Vécu), 1974
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mise-à-jour : 2
septembre 2010 |
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