Le procès de
Marie-Galante / Victor Schoelcher. - Cergy : Pagala, 2010. -
143 p. ; 22 cm.
ISBN
978-2-35903-006-8
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| Victor Schoelcher, un des rares souffles d’air pur qui ait soufflé sur une histoire de meurtres, de pillage, d’exactions.
☐ Aimé Césaire, introduction à Esclavage et colonisation, recueil de textes de Victor Schoelcher |
Arrachée au terme d'un long combat, l'abolition
définitive de l'esclavage en 1848 ne marque cependant qu'une
étape dans le processus d'évolution de l'opinion
et des
comportements de la société française.
Dans tout
l'outre-mer, nombre de propriétaires dessaisis
utilisèrent tous les moyens à leur
portée pour
maintenir un rapport de force qui avait largement contribué
à leur prospérité : “ l'habitude
d'une longue domination, le préjugé de couleur,
si
puissant parmi les propriétaires d'esclaves noirs, leurs
intérêts matériels
momentanément
froissés, le regret des privilèges perdus, tout
devait
faire craindre l'opposition que rencontrerait cette grande mesure
d'humanité ” (p. 5).
Lors des élections législatives de juin
1849, ces
tensions furent avivées, occasionnant de nombreux
affrontements
entre travailleurs et propriétaires, notamment en Guadeloupe
et
à Marie-Galante où présumés
meneurs et
agitateurs avaient été
arrêtés en nombre
— tous noirs ou mulâtres, membres de “ groupes
désarmés qui se bornaient à crier, qui
n'avaient
commis aucune voie de fait ” (p. 33). En
mars 1850,
après neuf mois de détention
préventive,
soixante-douze prévenus comparaissent devant la Cour
d'assises
de Pointe-à-Pitre, soixante-neuf ayant
été
préalablement relaxés tandis que cinq
étaient
morts en prison.
Victor Schoelcher (1804-1893) examine ici le
déroulement du procès et met en
évidence le
profond déséquilibre qui s'y exprime,
à commencer
par cette peine de principe que constitue la durée de la
détention préventive : “ c'est … un des moyens de punir
quiconque fait
ombrage à la faction dominante. La victime sort innocente,
réhabilitée, mais ruinée ;
cela sert
d'exemple aux autres ” (p. 109).
Dès l'ouverture
des débats, l'instruction aurait du être remise en
question : ceux qui en avaient la charge ignoraient le
créole … Mais à
l'évidence la Cour est
sous influence ; son parti est pris, comme le montre la
manipulation préalable du collège des assesseurs
qui, aux
colonies, tient lieu de jury populaire.
Enfin,
Victor Schoelcher relève, comme un fil conducteur,
l'obsession
qui réunit la Cour et l'accusation : “ les hontes
de
Saint-Domingue, dont le gouvernement doit conjurer le
retour ” (p. 125). Les peines
prononcées au
terme de cette procédure exemplaire sont
rigoureuses : il y a vingt-six acquittements, mais les condamnations
s'étagent d'un an de prison aux travaux forcés
à
perpétuité. Saint-Jean Alonzo,
considéré
comme l'un des principaux meneurs est condamné
à
dix ans de prison … en métropole.
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EXTRAIT |
Le véritable crime de M. Alonzo, le voici
énoncé dans toute la naïveté
coloniale :
« Sa maison était un bureau de
consultation
où les travailleurs venaient exposer leurs griefs contre les
propriétaires », ce sont les propres
paroles du
réquisitoire de M. Rabou.
Le
président M. Beausire est dans les mêmes
sentiments ; à l'audience du 13 mars, il interpelle
l'accusé en ces termes : « Votre
maison
était toujours pleine de cultivateurs qui
venaient vous consulter. »
(Progrès,
21 mars).
Quel criminel ! Les noirs venaient le
consulter ! Oui,
voilà ce qui rendait M. Alonzo si
coupable ! Se placer
entre les propriétaires et leurs anciens esclaves !
N'est-il pas évident que c'était
préparer
l'extermination de la race blanche ! Autrefois, la parole, la
volonté du planteur ne se discutaient pas, elles
s'imposaient ; certains colons n'ont pu l'oublier. La preuve
c'est
qu'à cette époque M. Bayle-Mouillard, ce
procureur
général embarqué par
M. Fiéron,
exposait en ces termes les prétentions exorbitantes de
certains
habitants sucriers :
« D'anciens
maîtres, demandant une contrainte impossible,
rêvent je ne
sais quel système de travail forcé, et
s'emportent contre
le magistrat qui refuse de remplacer le fouet du commandeur par la
verge de la justice
déshonorée ! »
En de telles conjonctures, comment les relations qui
existaient
entre M. Alonzo et ses anciens frères de servitude
n'auraient-elles pas appelé sur lui la vengeance de ceux qui
voudraient remplacer
le fouet du commandeur par la verge de la justice
déshonorée ?
M. Bayle-Mouillard, chef de la justice à la Guadeloupe, a
été banni pour avoir
résisté aux
entraînements de l'oligarchie coloniale ; M. Alonzo
ne
devait-il pas succomber ?
☐ pp. 73-74 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Le
procès de Marie-Galante »,
Paris : E. de Soye, 1851
|
- « Esclavage et
colonisation » textes de Victor Schoelcher choisis par Emile
Tersen avec une introduction d'Aimé Césaire, Paris :
Presses universitaires de France, 1948, 2018
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mise-à-jour : 9
juillet 2020 |
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