NOTE DE L'ÉDITEUR : Cet ouvrage se veut être une
analyse des raisons de l'accueil chaleureux que les lectrices
des Hautes Terres malgaches, profondément enracinées
dans leurs propres croyances, mais également sensibles
à des valeurs et à des idées venant d'autres
horizons, ont réservé à Jane Eyre
et aux Hauts de Hurlevent dans les années soixante.
Il rappelle les aspects les plus marquants de la littérature
et de la civilisation malgaches et évoque l'impact de
la vieille culture européenne sur un peuple à la
recherche de son devenir.
❙ Ginette Randriambeloma enseigne la langue anglaise à
l'université de Madagascar.
|
ADRIEN LE BIHAN : [Le livre de Ginette Randriambeloma]
cherche à expliquer pourquoi beaucoup de femmes malgaches
des années soixante ont aimé les romans de Charlotte
et Emily Brontë : Jane Eyre et Les Hauts de Hurlevent.
Charlotte Brontë fut tentée d'envoyer un de ses personnages
en mission d'évangélisation à Madagascar.
Mais ce qui intéresse Ginette Ranbriambeloma, c'est le
cousinage entre le pays des sœurs Brontë et les plateaux
de l'Imerima. Elle n'a pas de mal à convaincre
qu'Emilie et Charlotte supportent dignement leur voyage dans ces
hautes terres lointaines de Bible, de cantiques, de
prêches et d'influences victoriennes véhiculées
par la langue française — Charlotte surtout
qui, fille et femme de pasteur, locataire toute sa
vie d'un presbytère bordé de tombes, croyait
entendre, quand le vent soufflait, les voix de ses sœurs
mortes. Celui qui connaît les lieux n'est pas surpris qu'on
lui montre, dans le silence et la solitude des campagnes de l'Imerima,
et dans les pluies torrentielles et le vent qui balaie ces hauteurs,
où la végétation n'a pas la luxuriance de
celle de Paul et Virginie, « l'isolement chargé
de tristesse des landes du Yorkshire ». Il hésiterait
beaucoup à contredire Ginette Randriambeloma lorsqu'elle
jure que, tel le manoir de Thornfield, l'allure des vieilles
demeures malgaches, souvent en ruines, des campagnes mérina,
« désertées au début de ce siècle,
et où certaines familles ont installé des personnes
chargées du maintien des tombes et des terres ancestrales,
éveille une sensation de désolation sinistre, d'effroi,
propice aux histoires invraisemblables et ténébreuses ».
Et c'est sur du velours qu'elle joue lorsqu'elle voit faire mouche
à Madagascar, où les ancêtres dans les tombes
ne cessent de guetter, où les esprits des morts pénètrent
dans les maisons par les portes pour en ressortir par les fenêtres,
les mots de Heathcliff à Catherine : « Je crois
fermement aux revenants, j'ai la conviction qu'ils peuvent exister
et qu'ils existent au milieu de nous ».
☐ « Retour de Lémurie »,
Paris : François Bourin, 1993 (pp. 76-77)
|
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE (sur le rayonnement ultramarin des sœurs Brontë) | - Maryse Condé, « La migration des cœurs », Paris : Robert Laffont, 1995
- Jean Rhys, « La prisonnière des Sargasses » (1966), Paris : Gallimard (L'Imaginaire, 502), 2004
|
|