Je salue avec grande joie la parution en langue
française de l'oeuvre magistrale du professeur Greg
Dening : Islands and Beaches ;
Marquesas : 1774-1880. Elle est connue et
appréciée par tous les peuples
polynésiens qui retrouvent, dans cette histoire des contacts
interculturels vécus par les Marquisiens, un reflet des
mêmes évènements survenus dans leurs
îles, au cours du XIXe
siècle. L'intrusion des Européens dans le
Pacifique dégénéra trop souvent, en
effet, en affrontements violents et domination coloniale,
prélude d'une assimilation plus ou moins achevée
de nos jours.
L'Enata 1 a peu écrit, l'a-t-il même
jamais fait, pour sauver de l'oubli le passé de son peuple
ou en expliquer la mentalité. La tradition orale
était la mémoire vivante de ses
ancêtres. L'histoire écrite, elle, sera
l'œuvre des navigateurs, explorateurs, marchands,
fonctionnaires ou missionnaires qui firent irruption dans les
îles, au siècle dernier. Le professeur G. Dening a
recensé, puis analysé ces écrits si
divers et presque innombrables concernant le peuple marquisien. Sa
bibliographie est constituée par la liste impressionnante
des documents consultés. Son ouvrage en est la
synthèse raisonnée suivant la méthode
dite ethnohistoire. Il n'y a pas d'histoire authentique nous dit
l'auteur, sans une interprétation des faits bruts
à la lumière des apports de l'anthropologie ou
connaissance de l'homme et de son milieu social, sa culture.
Greg Dening qui a visité l'Archipel il
y a une vingtaine d'années, en parle comme d'une terre
muette où survit un peuple
dépossédé de sa culture ; celle-ci est
devenue un thème de discours entre spécialistes,
historiens et ethnologues. Il est vrai que l'Enata a souffert en
silence les drames de son histoire et qu'il ne livre pas à
l'étranger les traditions considérées
comme un secret de famille. Les étrangers ou Hao'e par
contre, en transcrivant leurs observations ou leurs impressions de
voyage, insistent sur leur vaine recherche des traditions anciennes,
des traces de l'art des tuhuna 2. Dans les vallées
inhabitées, paepae 3 et tohua 4 envahis par la brousse, sont des ruines sans
paroles dont le passé semble ignoré par les
Marquisiens eux-mêmes. Mais la nouvelle
génération revendique, et avec conviction, son
identité culturelle. Elle situera dans un passé
qu'elle ignore, la vision trop négative de leur Fenua 5 telle que perçue par l'auteur. Un
mouvement existe, le Motuhaka ; il a l'ambition de rassembler les
Enata, aussi individualistes que leurs ancêtres, dans
l'action pour la sauvegarde de la tradition populaire et
bâtir ensemble un avenir conforme à leur propre
conception de l'existence. L'artisanat est prospère ; ses
manifestations connaissent de réels succès
économiques. Les chants et danses traditionnels sont mis en
valeur en des festivals dont la renommée s'étend
loin des frontières du Pays, Fenuaenata 6. A l'écoute des anciens, la jeunesse
apprend les accents et les vocables authentiques de sa langue
maternelle menacée par les assauts extérieurs du
langage officiel des mass-media, et de l'enseignement excluant
pratiquement son utilisation dans les programmes scolaires. Cette
ouverture au monde a accéléré la prise
de conscience, par la jeunesse scolarisée, de
l'originalité de sa culture et a suscité son
intérêt pour l'étude des documents sur
lesquels se fonde son patrimoine culturel. En premier lieu, elle veut
connaître et juger les circonstances qui expliquent pourquoi
son pays dénommé Fenuaenata par ses
ancêtres, fut inscrit sur les cartes marines et
décrit dans le langage politique sous le nom de Iles
Marquises. Par quelle voie les Enata survivants des drames du
passé, sont-ils parvenus à l'état qui
les fit appeler Marquisiens ? L'auteur conclut son récit des
évènements que ses réflexions nous
aident à interpréter, par une pensée
qui pourrait être mise en exergue : « Ignorer
son histoire est pour les Enata une frustration cruelle. La leur faire
connaître est un privilège ».
Le jeunesse marquisienne mesurera quelle dette de reconnaissance son
Pays a contracté à l'égard du
professeur G. Dening, et à l'égard aussi des
traducteurs qui ont donné accès au public
français à cette documentation sans prix.
☐ Georges Toti Teikiehuupoko
Président de la
Fédération culturelle Motuhaka
UAPOU — Fenuaenata
Les notes font
référence au «
vocabulaire
» proposé en début d'ouvrage (pages 17 à 19) |
|
1. |
Enata,
Enana : Homme, être humain originaire
des îles Marquises. |
2. |
Tuhuna : maître d'œuvre,
artisan qualifié ; savant. |
3. |
Paepae :
terrasse de pierres sèches sur lesquelles l'Enata
construisait son habitation, ou tout autre demeure. |
4. |
Tohua : place publique, lieu
des divertissements et manifestations diverses. |
5. |
Fenua,
Henua : la
terre, le pays. |
6. |
Fenuaenata
ou Henuaenana : Terre des hommes,
noms que les Enata donnent à leur archipel. |