Le
cercle des homards : Hoëdic, une île entre
rumeur et
naufrage. Ethnographie d'une catastrophe maritime / Patrick Macquaire.
- Paris : Pétra, 2013. -
223 p.-[12] p. de
pl. ; 22 cm. - (Des Îles).
ISBN 978-2-84743-066-0
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| La
mer contient l'eau la plus pure et la plus corrompue :
pour
les poissons, buvable et salutaire,
pour
les hommes, imbuvable et mortelle.
☐ Héraclite
— cité en épigraphe au Ch. XVIII |
NOTE
DE L'ÉDITEUR : Le
14 juin 1931, le “ Saint-Philibert ”, un vapeur
affrété par l'Union des Coopérateurs, quitte
Nantes pour une excursion à Noirmoutier. Il sombre au retour,
dans la baie de Bourgneuf, devant la bouée du Châtelier.
Cinq cents passagers issus du mouvement ouvrier, des syndicalistes, des
militants libres penseurs disparaissent dans les flots. La mer garde
les dépouilles des victimes. Le deuil impossible provoque un
véritable séisme dans le corps social tout entier. On
parle alors de ce Titanic breton disparu dans les vagues
menaçantes des années trente. L'annonce de toutes les
catastrophes.
[…]
Le
conflit social et politique se déchaîne. Il oppose les
mouvements
catholiques aux mouvements anticléricaux. À
Paris, les
Camelots du Roi de Charles Maurras invectivent Aristide Briand,
élu de Nantes, rapporteur de la loi de séparation
de
l'Église et de l'État. L'artisan de la paix est
pris
à partie. Le vent se lève à l'horizon.
La vieille
Europe renoue avec ses démons. La vague sombre des
années
trente submerge toute une partie de la côte atlantique. Sur
l'île d'Hoëdic les pêcheurs ne parviennent plus
à vendre leurs homards. Ils ont dévoré les
victimes du “ Saint-Philibert ”, dit la rumeur.
Commence alors un long exode. L'île perd la quasi-totalité
de ses habitants en l'espace d'une saison.
[…]
Patrick
Macquaire […] tente ici, dans un simple récit, de
montrer
comment la rumeur transforme le réel pour lui substituer la
violence.
❙ |
Patrick Macquaire est éducateur
spécialisé, anthropologue formé
à l'EHESS Paris, directeur d'une structure d'insertion par
l'économique. Il s'est principalement consacré
à la mise en œuvre d'opérations de
développement social urbain et à la
création de structures associatives. Dernier livre
paru : Le
quartier Picassiette, un essai de transformation sociale à
Chartres (Paris : L'Harmattan, 2008. |
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PATRICK
MACQUAIRE
:
Les pêcheurs le disent eux-mêmes : à
Hoëdic, la
population s'en est allée au lendemain du naufrage du
Saint-Philibert. Rien ne saurait expliquer l'exode que l'île
a
subi sinon, disent les pêcheurs, la rumeur qui
sévit
à ce moment-là. Le 14 juin 1931, le vapeur
affrété par la Société Les
Loisirs quitte
Nantes pour Noirmoutier. À son bord, cinq cents passagers.
La
plupart sont issus des mouvements coopérateurs, des
associations
de libre penseurs. Le bateau surchargé fait naufrage au
retour.
La quasi-totalité des passagers disparaît. Le
deuil
impossible, la rumeur déferle : les passagers ont
forcé le capitaine à prendre la mer le jour de la
fête Dieu, des orgies ont été commises
durant la
traversée. On aurait trouvé des bijoux dans les
homards
pêchés sur la côte. Les
criées se font
l'écho de ces pêches refusées.
Hoëdic
s'enfonce dans une profonde récession. La population fuit et
rejoint le continent.
☐ “ Des
rumeurs et des légendes, ou la vérité,
d'une île à l'autre ”, in Île, état
du lieu, dossier coordonné par Eric
Fougère, Cultures
& Sociétés — Sciences de l'Homme
| 40 | Octobre 2016 | pp. 82-83
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EXTRAIT |
Dans
les années trente, poussés par la crise, les
pêcheurs d'Hoëdic et leurs familles avaient dû
regagner les ports du continent : La Turballe, Le Croisic,
Quiberon. Les équipages secoués par la tempête
fuyaient l'île par vagues entières.
À
Hoëdic, la peur du naufrage s'était installée.
Durant l'été 31, les pêcheurs avaient vu
s'échouer les corps rongés des victimes du Saint-Philibert, un vapeur parti de Nantes pour une excursion à Noirmoutier.
L'hiver
difficile, les pêches infructueuses, la disette qui
menaçait, tout s'était enchaîné dans la
confusion et la peur de la sanction. La mer, disaient les
pêcheurs, avait abandonné les siens.
En 87, la
plupart des marins que j'étais allé rencontrer à
Hoëdic conservaient la mémoire du naufrage. Les plus
anciens me rapportaient le drame, la gorge nouée, les yeux
embrumés, la tête pleine des souvenirs de tous les
naufrages. Une vie de ruptures, pleine des souffrances du départ.
Certains
étaient restés, d'autres partis. Beaucoup étaient
revenus. Le souvenir de l'exode, l'abandon de l'île,
étaient demeurés inscrits comme le vent dans la
tempête. Un naufrage. Un naufrage demeuré dans l'île
comme dans les esprits. Une rupture. Une rupture qui laissait les
hommes divisés, à jamais séparés
d'eux-mêmes et du continent. Seuls dans une île toujours en
proie au doute et à l'exil.
☐ p. 13 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Loïc Abed, « Les 500 victimes
du Saint-Philibert, Loire & Vendée »,
Montreuil-Bellay : CMD, 1999
- Simone
Loidreau, « Le naufrage du Saint-Philibert »,
Cholet : Ed. du Choletais, 1981 ;
Noirmoutier-en-l'Île : Les Amis de l'île de
Noirmoutier, 2011
- Roland Mornet, « La tragédie du Saint-Philibert », La Crèche : Geste, 2014
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mise-à-jour : 8 mai
2020 |
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| Le Saint-Philibert |
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