Abdulrazak Gurnah

Adieu Zanzibar

Galaade

Paris, 2009

bibliothèque insulaire

   

       
parutions 2009
Adieu Zanzibar / Abdulrazak Gurnah ; trad. de l'anglais par Sylvette Gleize. - Paris : Galaade, 2009. - 282 p. ; 22 cm.
ISBN 978-2-35176-065-9
Abdulrazak Gurnah, né à Zanzibar en 1948, vit à Londres depuis 1963. En déduire que son œuvre serait à la confluence de deux courants, l'un prenant sa source à la tradition des Mille et Une Nuits et l'autre passant par les romans de Dickens, serait gravement réducteur. Abdulrazak Gurnah est en effet un conteur singulier, nourri sciemment d'influences multiples — aux précédentes, il faudrait ajouter V.S. Naipaul, Salman Rushdie et d'autres — dont il s'affranchit souverainement.

Adieu Zanzibar s'ouvre sur une rencontre improbable dont les effets orienteront le destin de plusieurs générations jusqu'au moment où le parcours du dernier des protagonistes semble se confondre avec celui de l'auteur. Rashid, qui a quitté Zanzibar pour faire des études supérieures en Grande-Bretagne, ne peut faire retour au pays natal après que l'île soit devenue indépendante. Il ressent aussitôt un vif sentiment de culpabilité. L'édition originale du roman, publié en anglais, était intitulée Desertion.

Après avoir illustré, dans les deux premières parties du roman,  les impasses et les pièges du dialogue entre colonisés et colonisateurs, Abdulrazak Gurnah rend sensible la douleur du déracinement et de l'exil, la souffrance face au racisme. Comme Rashid, il en tire deux leçons essentielles. Ne pas céder à la tentation des “ chants rauques de la plainte et de la rébellion ”. Rendre justice aux siens et à la terre natale — “ J'ai eu le temps de réfléchir à bien des choses que j'avais jusqu'alors laissées de côté, et c'est ainsi que j'ai songé à écrire ”.
EXTRAITS Il n'était pas facile d'approcher les étudiants anglais, même lorsqu'on était dans la même classe. Le sentiment d'une résistance exista dès le départ, un sentiment que j'éprouvais sans cependant être bien sûr de sa réalité. Je ne savais pas alors à quoi m'attendre, mais je sentais cette résistance dans la réserve des réponses à mes sourires épanouis. Je la voyais dans les regards qui se détournaient, dans les froncements de sourcils quand je suivais les autres après la classe en tentant de me joindre à eux. Je n'étais pas convié, je le voyais bien, aux rendez-vous de la bibliothèque, ou du café, ou d'ailleurs. Je surprenais les brefs regards mauvais qu'ils échangeaient, les sourires qu'ils retenaient.

p. 230
Au cours des mois suivants, j'ai commencé à me considérer comme un exclu, un exilé. Je donne l'impression que tout a été progressif, et il est vrai qu'il m'a fallu deux mois pour arriver à évaluer ma situation, mais j'avais tout senti beaucoup plus tôt. La lettre dans laquelle mon père m'enjoignait de ne pas revenir m'avait sonné, paralysé, réduit au silence et paniqué. Que voulait-il dire exactement par là ? Où irais-je si je ne rentrais pas au pays ? Où pouvais-je aller ? […] Pour la première fois depuis que j'étais arrivé en Angleterre, je me sentais un étranger. Je le compris, je m'étais cru à mi-chemin de mon voyage, entre l'aller et le retour, réalisant un projet avant de retourner chez moi, mais brusquement j'ai craint que le voyage ne s'arrête là et que je n'aie à passer tout ma vie en Angleterre, étranger au milieu de nulle part.
Avec le temps je me laissai aller à un sentiment de supportable étrangeté. Jour après jour, ce sentiment devint comme un emblème, imprécis quant à ses origines. Bientôt j'en vins à parler des noirs et des blancs, à l'instar de tout le monde, proférant le mensonge avec une facilité croissante, acceptant la communauté de notre différence, concédant la vision abrutissante d'un monde “ racialisé ”. Car reconnaître que l'on est noir ou blanc, c'est limiter la complexité des possibles, c'est accepter le caractère mensonger qui a servi pendant des siècles et continuera de servir les soifs grossières du pouvoir et les affirmations de soi pathologiques. Qu'importe, je proférais mes mensonges en pensant qu'ils étaient de géniales vérités, et trouvais une manière d'affirmation de ma personne dans les chants rauques de la plainte et de la rébellion.

pp. 239-240
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Desertion », London : Bloomsbury, 2005
  • « Paradis », Paris : Denoël (Et d'ailleurs), 1995, 2021
  • « Près de la mer », Paris : Galaade, 2006 ; Paris : Denoël (Et d'ailleurs), 2021

mise-à-jour : 17 février 2022
Abdulrazak Gurnah,
né à Zanzibar en 1948,
a reçu le Prix Nobel de Littérature
en 2021
Abdulrazak Gurnah : Adieu Zanzibar
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