La
brève et merveilleuse vie d'Oscar Wao / Junot
Díaz ;
traduit de l'anglais par Laurence Viallet. - Paris : Plon,
2008. -
293 p. ; 23 cm. - (Feux croisés).
ISBN
978-2-259-18555-4
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Oscar,
enfant
de Saint Domingue né dans une banlieue sans grâce
de New
York, déchire sa vie entre rêves d'amours
inaccessibles, boulimie littéraire, et
trivialités d'un
quotidien sans merci. Il n'aspire qu'à tomber les filles du
quartier, se rêve en
James Joyce
dominicain, et dans ce désordre gagne un surnom
insidieux, Oscar Wao. Ses rares amis s'en émeuvent
à peine :
« j'en suis pas revenu de voir à quel
point il
ressemblait à ce gros dèp d'Oscar Wilde, et je le
lui ai
dit. T'es son portrait craché, et ça puait pour
Oscar, vu
que Melvin a tout de suite dit : Oscar Wao, quién
es Oscar
Wao, et c'était cuit, on s'est tous mis à
l'appeler comme
ça ».
Écrit en spanglish — un
défi de taille pour la traduction
française —
le roman de Junot Díaz orchestre, autour des
dernières
années de la vie d'Oscar, les parcours tourmentés
de sa
mère Belicia (Beli), de sa sœur Lola, de son ami
Yunior ; tous en perpétuel transit entre le New
Jersey et
la République dominicaine, où la perspective
s'ouvre sur
la jeunesse de Beli et ses amours violemment contrariées,
sur
les figures de La Inca, « la
tante-mère »
ou du grand-père Abélard.
En tressant ces vies
chaotiques et attachantes, Junot Díaz dévoile la
face
obscure de la République dominicaine (Abélard, La
Inca,
Beli ont souffert au-delà du supportable sous la terrifiante
dictature de Trujillo) et expose crûment les
désillusions
d'une diaspora pour laquelle le rêve est toujours sur l'autre
bord et la douleur ici.
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EXTRAIT |
Pauvre Beli. Jusqu'au bout, elle aura cru que le Gangster
allait
apparaître pour la sauver. Je suis
désolé, mi
negrita, je suis tellement désolé, je n'aurais
jamais
dû te laisser partir. (Elle était
restée fortiche
pour les rêves de sauvetage.) Elle l'avait cherché
partout : pendant le trajet jusqu'à
l'aéroport, sur
le visage des fonctionnaires qui contrôlaient les passeports,
même pendant l'embarquement et, enfin, l'espace d'une seconde
irrationnelle, elle crut qu'il allait émerger du cockpit,
dans
un uniforme de capitaine tout juste sorti du pressing
— je
t'ai bien eue, hein ? Mais le Gangster ne réapparut
plus
jamais en chair et en os, seulement dans ses rêves. Dans
l'avion,
il y avait d'autres émigrés de la
Première Vague.
Beaucoup d'eau attendant de former un fleuve. La voila donc, plus
proche à présent de la mère que
nous
souhaitons qu'elle devienne si nous voulons qu'Oscar et Lola voient le
jour.
Elle a seize ans, et sa peau est le
crépuscule qui précède le noir, la
lie-de-vin de
l'ultime rayon de lumière de la journée, ses
seins
pareils à des soleils couchants prisonniers sous sa peau, et
malgré sa jeunesse et sa beauté, elle affiche une
expression revêche et méfiante qui ne
disparaît que
sous le poids d'un plaisir intense. Ses rêves sont sobres, il
leur manque l'élan qu'une mission confère, son
ambition
est dépourvue de moteur. Son plus ardent espoir ?
Trouver
un homme. Ce qu'elle ignore encore : le froid, le labeur
éreintant dans les factorías, la solitude de la
Diaspora,
qu'elle ne revivra jamais à Santo Domingo, son propre
cœur. Qu'ignore-t-elle d'autre ? que l'homme assis
à
ses côtés sera son mari et le père de
ses deux
enfants, qu'après deux ans de vie commune il la quittera,
troisième et ultime chagrin d'amour, et que plus jamais elle
n'aimera.
Elle se réveille au moment
où, dans ses rêves, des ciegos montent
à bord d'un
bus, quémandant de l'argent, un rêve sorti de ses
Années Perdues. Le guapo du siège voisin lui
tapota le
coude.
Señorita, vous ne devriez pas rater ça.
Je l'ai déjà vu, aboya-t-elle. Puis,
retrouvant son
calme, elle jeta un coup d'œil par le hublot.
C'était la nuit et partout brillaient les
lumières de Nueva York.
☐ pp. 150-151 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « The
brief wondrous life of Oscar Wao », New
York : Riverhead books, 2007
- « La
brève et merveilleuse vie d'Oscar Wao »,
Paris : 10/18 (Domaine étranger, 4366), 2010
|
- « Guide
du loser amoureux », Paris : Plon (Feux
croisés), 2013 ; Paris : 10/18 (Domaine
étranger, 4845), 2015
- « Comment
sortir une latina, une black, une blonde ou une
métisse » trad. de l'américain
par Rémy
Lambrechts, Paris : Plon (Feux croisés),
1998 ;
réédité sous le titre
« Los
boys », Paris : 10/18 (Domaine étranger, 3222), 2000
|
- Julia
Alvarez, « Au
temps des papillons », Paris :
Métailié, 2003
- Catherine Bardon, « La fille de l'ogre », Paris : Les Escales, 2022
- Lauro
Capdevila, « La
dictature de Trujillo, République Dominicaine 1930-1961 »,
Paris : L'Harmattan, 1998
- Edwige
Danticat, « La
récolte douce des larmes »,
Paris : Grasset, 1999
- Bernard
Diederich, « Trujillo,
the death of the dictator », Princeton
(NJ) : Markus Wiener Publishers, 2000
- Mario Vargas
Llosa, « La
fête au bouc », Paris :
Gallimard, 2002
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mise-à-jour : 12 octobre 2022 |
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