L'île
des condamnés / Stig Dagerman ; traduit du
suédois
par Jeanne Gauffin ; avertissement de l'auteur ;
postface de
Karl Östergren, Le politicien de l'impossible, trad. du
suédois par Philippe Bouquet. - Marseille :
Agone ;
Forcalquier : Marginales, 2009. - 301 p. ;
21 cm.
ISBN
978-2-910846-44-2
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… aucun
retour possible, rien que cette constante accusation puante dans l'eau
du rivage, cette menace, cet éternel rappel de ce qui nous
attend bientôt.
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p. 132 |
Parfois
rapproché du “ Huis
clos ” de Sartre, le
roman de Stig Dagerman expose les tribulations de sept
naufragés
— plus que des camarades,
des cosurvivants —
très provisoirement rescapés sur une
île
déserte : “ l'île
déserte
possède (…) pour l'auteur l'avantage et le charme
qu'il
n'a pas à redouter de critiques pour s'être
trompé
dans sa description ” (1)
Dans
ce monde précaire, la menace est sensible à
chaque
instant ; aucune retraite n'est assurée, aucun
repli
possible ; l'inquiétude et l'angoisse ne
connaissent pas de
pause. L'espace mesuré et dangereusement chaotique ignore
les
attentes élémentaires de la colonie qui tente
d'improviser de dérisoires règles de vie
commune ;
chaleur cuisante le jour, froid pétrifiant la
nuit ;
l'île enfin est peuplée d'énormes
lézards
qu'on devine agressifs. Mais ces dangers pèsent peu en
regard des hantises que chacun des rescapés tire d'un
passé fait de peur, de soumission, de reniement, de
lâcheté.
Anarchiste
dans l'âme Dagerman
stigmatise le culte de la force et le danger autoritaire, qu'illustre
ici le comportement du capitaine Wilson ; mais il n'ignore pas
que
le risque est embusqué au cœur de chacun, ce que
souligne
l'épigraphe du roman : “ Deux
choses me
remplissent
d'horreur : le bourreau en moi et la hache au-dessus de
moi ”.
❙ |
Né en 1923, Stig Dagerman fut
salué dès son premier roman comme l'un des
espoirs majeurs de la littérature suédoise. Son
œuvre littéraire (romans, nouvelles,
théâtre et poésie) se double
d'écrits journalistiques et d'une vie de militant tout
entier engagé dans l'anarcho-syndicalisme. Écrit
par un jeune-homme de vingt-trois ans rêvant d'une
humanité solidaire, L'île des condamnés
exprime avec force le drame d'un monde sans fraternité. Stig
Dagerman s'est suicidé à l'âge de
trente-et-un ans. |
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1. |
Stig Dagerman, Avertissement,
p. 7 |
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EXTRAIT |
Non, bien sûr, il n'y avait pas de soir sur
l'île.
Après le bref crépuscule vert, la nuit tombait
comme
l'aigle épuisé de fatigue se pose sur son rocher,
et tout
devenait impitoyablement noir. Parfois cependant, les
étoiles
pouvaient servir de points de repère quand on voulait
vraiment
se promener : elles envoyaient dans l'espace de petits
faisceaux
de lumière facilement réfrangibles et si
frêles
qu'ils semblaient presque exhalés ; incertains et
apparemment peu disposés à atteindre leur but,
ils
soulignaient avec une pénible netteté que ces
ténèbres n'étaient que nuit, une nuit
sans espoir,
une éternelle nuit. On pouvait encore un moment s'orienter
avec
les bruits, si on voulait. Certes, la plupart des lézards
dormaient et on n'entendait plus le vacarme de leurs corps pesants
parmi les rochers ; pourtant il devait exister sur
l'île une
sorte de lézards qui préféraient la
nuit ;
personne ne savait comment ils étaient faits, car ils ne
s'approchaient jamais du feu, en fait ils ne quittaient jamais leurs
rochers. Toutefois, la nuit, on entendait distinctement de violents
coups de queues, des glissements rapides sur la pierre et un
étrange caquetage semblable à un caquetage
d'oiseaux que
l'on ne percevait jamais dans la journée ; et ces
coups
étaient plus durs, ces glissements plus rapides que ceux des
lézards ordinaires ; sans doute ces animaux
nocturnes
étaient-ils plus grands, plus brutaux, moins apathiques, ou
bien
n'était-ce que l'incertitude de la nuit qui amplifiait tous
les
bruits aux oreilles des naufragés, rendait tout plus
effrayant
et soulevait des tourbillons de désirs cachés et
de
terreurs, mortes seulement en apparence, où le moi pouvait
tournoyer comme une coquille vide.
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p. 145 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « De
dömdas ö », Stockholm :
Norstedts, 1946
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- « L'île
des condamnés » traduit du
suédois par Jeanne
Gauffin, Paris : Denoël (Les Lettres nouvelles), 1972
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mise-à-jour : 23
septembre 2009 |
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