4ème édition du Prix du Livre
Insulaire (Ouessant 2002)
ouvrage en compétition |
La Terre de Feu /
Sylvia Iparraguirre ; traduit de l'espagnol (Argentine)
par Bertille Hausberg. - Paris : Métailié,
2002. - 201 p. ; 22 cm. - (Bibliothèque
hispano-américaine).
ISBN 2-86424-408-X
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NOTE DE L'ÉDITEUR : En 1830, les Anglais tentèrent
une expérience « civilisatrice ».
Ils emmenèrent à Londres un Indien Yamana du Cap
Horn, Jemmy Button, dans l'espoir d'en faire une tête de
pont pour une colonie anglaise. L'échec de l'expérience
se soldera par un étrange procès fait aux Malouines
aux Indiens Yamana par des missionnaires anglicans.
Cette aventure est racontée
par John William Guevara, fils d'un Anglais et d'une Créole,
le mousse du bateau qui transporte Jeremy Button. Une fraternité
inespérée s'instaure entre les deux garçons
et chacun entrevoit le monde de l'autre.
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JEAN-LOUIS ARAGON : […]
[Jemmy Button,] de son vrai nom
Omoy-lume, […] fut pris en otage avec deux autres Yamanas,
l'une des ethnies qui peuplaient la Terre de Feu. Il sera conduit
en Angleterre où il passera deux ans, puis rendu à
ses terres dans le but, pour ses ravisseurs, d'essaimer les enseignements
pratiques et religieux qui lui ont été inculqués.
On ne saura pas grand chose de ce « sauvage »
cloîtré dans sa fierté, sa différence
et sa patiente indifférence pour les choses inutiles des
Occidentaux. […]
Ce livre, efficace et fragile,
pose de bonnes questions sur les motivations humanitaires des
« missionnaires » et des scientifiques.
☐ Le Monde des livres, 26 avril 2002
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EXTRAIT |
Et un matin nous étions
là, aux confins du monde, face à ces rochers et
à ces îles sombres ; plus bas, le néant.
Sur le pont, près du Capitaine, je regardais tout, découvrant
un très vieux monde qui semblait récemment créé.
Le Capitaine me montra une île :
— L'Horn proprement dit. Il n'a pas besoin de description,
il n'est pas facile à confondre.
Un rocher noir s'élevait à pic au-dessus de l'eau ;
des îlots de glace dérivaient près de la
côte. Le Capitaine semblait aussi à l'aise ou satisfait
que dans son propre jardin. Il me demanda de lui apporter un
pot de café dans sa cabine.
Au cours de ces deux mois il s'était pris pour moi d'une
certaine estime. C'était un homme cultivé et il
appréciait, comme un mets exquis, toute manifestation
dans ce sens, chose qui lui était rarement donnée
en haute mer. A sa demande, je lui avais raconté comment
Mallory m'avait fait lire certains classiques anglais et universels.
Il avait fait à ce propos un curieux commentaire, mêlant
l'orgueil de la race à la simple constatation d'un fait :
— L'Angleterre est partout.
Je n'y avais jamais pensé dans ces termes mais, quand
il le dit, je compris qu'il n'était pas loin de la vérité.
Je dois sans doute éclaircir quelque chose, mister Mac
Dowell ou Mac Downess. Si j'éprouvais de l'admiration
pour le Capitaine, il n'y avait rien de filial dans mes sentiments
envers lui et j'ose affirmer qu'aucun homme ayant navigué
avec lui ait pu nourrir ce sentiment. Il créait le vide
autour de lui. […]
Il me vient en mémoire un exemple du caractère
du Capitaine et, peut-être, par extension, du caractère
général de la façon dont l'Angleterre imposait
ses règles : le mot Tekeenica employé
par le Capitaine pour donner un nom au pays de Button et à
ses habitants. En réalité, comme je l'ai appris
de Button lui-même, ce son signifie littéralement
« Je ne comprends pas ce que vous dites »,
et c'était la réponse des Yámanas au Capitaine :
— Teke uneka.
Mais, comme ils le lui répétaient sans cesse, il
en avait déduit d'avance qu'ils prononçaient le
nom de leur patrie, et l'avait ainsi baptisée.
☐ pp. 62-63
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « La Tierra del Fuego »,
Buenos Aires : Alfaguara, 1998
| - « Tierra del Fuego :
una biografía del fin del mundo », Buenos Aires :
El Ateneo, 2000
| site internet de Sylvia Iparraguirre |
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mise-à-jour : 22 novembre 2006 |
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