Alin Laubreaux

Le Rocher à la Voile, préface de Liliane Laubreaux

Éd. Grain de Sable

Nouméa, 1996

bibliothèque insulaire

   
édité en Nlle-Calédonie
Le rocher à la voile / Alin Laubreaux ; préface de Liliane Laubreaux. - Nouméa : Grain de sable, 1996. - 212 p. ; 22 cm.
ISBN 2-84170-022-4

ANDRÉ CAPIEZ : […]

Dans le Nouméa d'aujourd'hui, la promenade Pierre Vernier est devenue l'un de ces nouveaux lieux symboles, rejoignant la Place des Cocotiers dans le cœur des Nouméens. Mais il est un autre endroit qui s'est peu à peu effacé de la conscience collective, un lieu qui pourtant au début du siècle résonnait dans le cœur des habitants, à l'époque où les liaisons avec les autres pays étaient pour l'essentiel des liaisons maritimes. Ce lieu où les Nouméens se retrouvaient pour faire de grands gestes de la main aux amis ou à la famille qui quittaient Nouméa pour des voyages lointains et parfois incertains, c'était un grand rocher blanc et noir surgissant de l'eau telle une voile.

Avec l'avènement des transports aériens et la vulgarisation des voyages, ce grand rocher blanc, séparant l'Anse Vata de la Baie des Citrons, s'est peu à peu effacé de la conscience collective des Nouméens pour ne plus faire partie que de la mémoire collective et des souvenirs d'enfance des anciens. […] Ce rocher à la Voile, Alin Laubreaux a su lui rendre un hommage émouvant dans son roman du même nom, même si le rocher qui apparaît peu ne constitue que la trame qui lie les quatre histoires qui constituent ce roman.

[…]

A la lecture du Rocher à la Voile, on peut mieux comprendre Alin Laubreaux l'écrivain, un écrivain méconnu en Nouvelle-Calédonie où il est pourtant né et où se situe ce roman […], un écrivain dont le talent a été enseveli par les passions et controverses suscitées par l'homme lui-même et qui ont contribué à faire oublier son œuvre de poète, d'écrivain et de critique littéraire 1.

Le rocher à la Voile, c'est le personnage fantôme qui relie quatre tranches de vie et leur permet de se croiser dans la conscience collective de la société nouméenne de l'époque. Apparaissant peu dans ce quadruple roman, il y reste néammoins omniprésent. L'histoire de ces quatre volets est merveilleusement résumée dans la préface dont ont peut reprendre les mots : “ l'auteur conte dans ce livre l'histoire d'un jeune Français venu en Nouvelle-Calédonie, et la rencontre qu'il fit, à l'entrée du port de Nouméa, du Rocher à la Voile. Point métaphysique dans le temps et dans l'espace de quatre destinées qui croisèrent la sienne sans se conjoindre en elles … Il est le sommet d'où notre voyageur a vu le marin Chantrel, l'homme libre Breton, le canaque Gabriel et l'ancien forçat Herbignac, types synthétiques de cette île lointaine, surgis parmi la grouillante plèbe canaque et asiatique et la foule des Européens médiocres ou ridicules ”.

[…]

Le Rocher à la Voile est vraiment le roman antithèse du roman exotique. Ici point de sable blanc, de mer bleue, de rêves et de cocotiers vibrant aux alizés, mais tout simplement des hommes. Dans cette fresque insulaire, les gens vivent, aiment, haïssent, souffrent et meurent, illustrant une société, mélange de passions et d'indifférence, où les femmes ne sont pas de belles sauvageonnes lascives […]. Au milieu de ces passions et, pire encore, de l'indifférence, qui tiraillent les personnages, l'ombre du Rocher qui se profile derrière le narrateur reste la seule constante (« Trois ombres à la crête du Rocher pleurant sur leur impossible fuite … »), comme un reproche pur et permanent à la fragilité humaine. Le Rocher, porte des arrivées et des départs, rocher du voyage mais immobile pour toujours dans l'Océan, finit par devenir le symbole de ce qui fait le plus cruellement défaut à cette société mesquine : la liberté et le rêve du départ.

[…]

Et pourtant, ce départ impossible, Alin Laubreaux l'a vécu car il est bien parti lui, pour échapper à cette société qu'il décrit si bien, parti vers d'autres destins à controverse pour finalement être effacé de la mémoire collective calédonienne pendant de nombreuses années […].

Notre Librairie, 134, mai-août 1998

1.Alin Laubreaux est né à Nouméa en 1899. Poursuivi pour ses écrits antisémites pendant la seconde guerre mondiale, il se réfugie en Espagne en 1944 ; il est condamné à mort par contumace par la Cour de justice de la Seine en 1947 et meurt en exil en 1968. Il est suspecté d'avoir dénoncé à la gestapo le poète Robert Desnos (déporté et mort au camp de Theresienstadt en 1945).
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Le rocher à la voile », Paris : Albin Michel, 1930
  • « Histoires canaques », Paris : Fayard (Les Œuvres libres, 56), 1926
  • « Yan-le-Métis », Paris : Albin Michel, 1928
  • « Wara », Paris : Albin Michel, 1932
  • « J'étais un autre ! », Paris : Albin Michel, 1941
  • « Caroudis, le lecteur passionné ou L'homicide Kaavo », in Georges Baudoux, Kaavo, histoire canaque, Nouméa : Grain de sable (Esprit des temps, 4), 1995

mise-à-jour : 5 octobre 2006

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