Thewe men jila : la
monnaie kanak en Nouvelle-Calédonie / Yves-Béalo
Gony ; préface d'Hamid Mokaddem ; ill. de Paula Boi. -
Nouméa : Expressions-Province Nord, 2006. -
207 p. : ill. ; 22 cm.
ISBN 2-9519371-5-6
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9ème édition du Prix du Livre Insulaire : Ouessant 2007 |
prix « essai » |
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L'igname est l'économie, l'igname est la société.
Paulo Saumé, cité p. 97
La monnaie est comme l'homme.
Wangnene Isaïa, cité p. 124 |
Au sens strict, le thewe ou monnaie
traditionnelle kanak est un assemblage de perles (coquillages, os de
roussette, …) sur un fil ; cet assemblage, tel qu'il est
représenté sur la couverture du livre, compte
trois segments principaux : ven wan, la bouche ou l'ouverture, ven kanyen ma, le corps et ven hulen, le
bout ou le pied ; l'ensemble est complété par un
étui en fibres végétales tressées, ven ngen thewe, « la maison de la monnaie ».
Mais, au-delà de sa réalité matérielle, la monnaie kanak est
un objet « symbolique, social et
économique » : « pour comprendre son
fonctionnement et le rôle qu'elle joue dans la
société kanak, on doit la considérer comme un
objet au cœur même de la " coutume ". Elle est
l'expression et le support des échanges sociaux. Elle est le
conservatoire de la coutume d'hier, d'aujourd'hui et de
demain » (p. 53).
Yves-Béalo Gony observe de l'intérieur le fonctionnement
des échanges sociaux ritualisés au sein du monde kanak ;
il pose un éclairage sans complaisance sur les changements
qu'ils subissent depuis la colonisation et l'essor concomitant du
mercantilisme ; il ouvre enfin une « réflexion
sur la coexistence des impératifs de l'économie marchande
moderne et des enjeux sociaux et culturels enracinés dans les
savoirs — et savoir faire — de l'économie politique
et sociale traditionnelle » (p. 160).
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EXTRAIT |
Le thewe,
qui en langue fwaî de Hienghène signifie
« né de l'eau », connote une richesse
provenant du monde marin qui est le monde des esprits. À
Hienghène, le thewe puise
son origine dans les profondeurs marines et ce sont les esprits qui
l'ont montré aux hommes. Un récit sur l'origine de la
monnaie traditionnelle, pue thawe en
langue pijé, a été recueilli par Françoise
Rivierre à la tribu de la Tiédanite en 1978,
auprès de M. Timothée Daamha Lé Wé 1.
[…]
D'après ce récit, la première monnaie
d'échange serait faite de perles de coquillage. Son fabricant
serait une personne du clan de la mer, un clan dont la principale
obligation est de fournir du poisson à la chefferie Kudu
située en un lieu à environ 500 m en amont sur la
rive droite de la rivière de Hienghène près de
l'antenne de télévision, qui est aussi une chefferie
sœur de la chefferie Bwarhat de Hienghène. Ceux de cette
chefferie sont aussi appelés « fils du
soleil » à cause de leur teint clair. Le chef de Kudu
décida d'une grande cérémonie coutumière
à laquelle devaient participer tous les clans de la
région de Hienghène. Il fit appel à une personne, ka po sêgu o hyantau le we (le
maître de cérémonie de la pêche), pour
qu'elle lui fournisse du poisson pour la fête. À son
réveil le matin, il aperçut la tête ornée
d'une monnaie, la saisit et suivit sa longueur jusque dans les
profondeurs de la mer. Il saisit l'ensemble du rouleau de coquillages,
le déposa dans sa pirogue à côté des
poissons, puis l'embarqua vers Kudu chez le chef. Le chef le remercia
de son offrande et la coupa en plusieurs morceaux. Il les distribua
à tous les clans présents en disant :
« Ceci sera pour nous l'objet qui nous réunira et qui
donnera le sens à notre relation familiale ». Et c'est
ainsi qu'à Hienghène cet objet est devenu l'objet
d'échange principal pour toutes les cérémonies
coutumières.
☐
pp. 53-57
1. | Cf. Ozanne-Rivierre, F., « Origine de la monnaie traditionnelle
(le chef de Kudu) », in J.-C. Rivierre (et al.), Mythes et contes de la Grande-Terre et des îles Loyauté (Nouvelle-Calédonie), Paris : SELAF, 1980 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
→ compte-rendu de lecture par Isabelle Leblic, Journal de la Société des Océanistes, 125, 2007-2, pp. 333-334 [téléchargement] |
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mise-à-jour : 30 octobre 2014 |
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