Requiem
pour un thon / Romain Chabrol. - Paris : Les Petits matins, 2010.
- 222 p. : carte ; 20 cm. - (Polar, 1). ISBN 978-2-915879-83-4
|
Porté
par la demande japonaise, le marché du thon rouge de
Méditerranée connaît depuis plusieurs
décennies une fulgurante expansion — dynamisée
par des méthodes de pêche hautement productives (senne
tournante), le repérage des bancs de poissons par des avions qui
guident les senneurs et par l'engraissage en cages des poissons
pêchés.
Ce haut degré de technicité
garantit des profits financiers considérables. La concurrence
entre sociétés de pêche est donc féroce, et
les réglementations visant à protéger la ressource
systématiquement contournées.
Romain Chabrol met
en scène Alexandre Ambaz, militant d'une ONG écologiste,
qui a décidé d'enquêter sur ce système
opaque, et dangereux pour les observateurs trop curieux. Le terrain est
celui des grandes pêcheries entre France, Tunisie, Lybie,
Italie … Un vaste domaine maritime ponctué
d'îles : Sicile, Malte, Lampedusa, Pantelleria. Ici ou
là la complaisance envers les fraudeurs est de
règle ; partout et toujours les moyens de lutte contre la
surpêche sont limités voire défaillants.
Au cours de son enquête, Alexandre Ambaz croise la route des clandestinos
fuyant le Sud et confrontés au Nord à
l'indifférence, au cynisme et à la lâcheté
des politiques et des populations : “ la
Méditerranée charriait des centaines de cadavres, les
victimes expiatoires du mirage … ”.
C'était il y a dix ans ; les stocks de thon en
Méditerranée ont, provisoirement peut-être,
échappé au désastre ; mais le sort des clandestinos n'a cessé d'empirer.
❙ | Romain Chabrol a travaillé comme consultant pour des ONG écologistes et pacifistes. Requiem pour un thon est son premier roman. |
|
EXTRAIT |
Deux
vieux chalutiers rouillés d'une vingtaine de mètres
étaient à quai. Tous deux étaient recouverts
d'inscriptions en arabe et de peintures flamboyantes de dauphins, de
dorades, d'aigles et de sirènes. Un pêcheur à la
ligne m'a expliqué qu'ils étaient arrivés cet
hiver de Tunisie, chargés de clandestinos. Je
les ai imaginés, ces hommes et ces femmes, Soudanais,
Érythréens, Nigérians ou Éthiopiens, trop
heureus de débarquer ici dans les mains de la Guardia
costera …
[…]
Au loin, j'ai aperçu deux types, noirs, qui marchaient sur le bord de la route, des sacs plastiques à la main. —
Est-ce qu'ils sont toujours sur l'île, ceux qui sont
arrivés avec ces bateaux ? J'ai demandé au
pêcheur. Où est-ce qu'ils vont ensuite ? Le type
ne m'a même pas regardé. Une coulée de magma verbal
s'est échappée de ses lèvres.
Je me suis
promis de prendre le temps d'en savoir plus. Au fond, ça saute
aux yeux : les deux problèmes étaient
liés … Zones de pêche au thon et routes
d'immigration se superposaient presque exactement, tout comme le
pillage des ressources appelait l'exil des populations appauvries.
L'année précédente, des réfugiés en
perdition s'étaient agrippés au boudin d'une cage pleine
de thon au large de la Lybie. Le remorqueur appartenait à
Charles Borg, le fameux mareyeur maltais. Ce dernier avait exigé
du capitaine que les hommes épuisés ne soient pas
remontés à bord. Il avait expliqué à la
presse qu'il ne voulait pas échanger “ un million de
dollars contre un million de problèmes ”. Les
autorités des différents pays s'étaient
refilé le bébé avant que l'Italie n'intervienne
à contrecœur. Deux femmes et trois enfants étaient
morts entre temps.
☐ pp. 78-79
|
|
| Romain
Chabrol a participé à l'écriture et à la
réalisation d'un documentaire de Jérôme Delafosse, Les requins de la colère
(2015) dont l'objectif prioritaire était de rétablir
l'image du requin, “ trop souvent déformée par
une sur-médiatisation de faits divers jouant sur
l’émotion ” … et par le
succès de médiocres superproductions américaines exploitant sans
vergogne un “ tissu de superstition, d’angoisse et de
dégoût ”. |
|
|
mise-à-jour : 12 août 2019 |
|
|
|
|