Histoire de l'Irlande
et des Irlandais / Pierre Joannon. - Paris : Perrin, 2006.
- 688 p. : carte ; 24 cm.
ISBN 2-262-02274-7
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NOTE DE L'ÉDITEUR : Longtemps l'Irlande resta marquée
par les heures sombres de son histoire : invasions, conquête,
colonisation, révoltes, répressions, disettes semblaient
la vouer irrévocablement au malheur. Au XIXe
siècle, la Grande Famine menaça d'extinction la
population, provoquant une émigration massive et donnant
naissance, en Amérique, à une nouvelle Irlande.
La création dans le premier quart du XXe siècle
d'un Etat national au Sud et d'un Etat régional au Nord
fit espérer une solution à la « Question
d'Irlande ». En vain. Les séquelles de la guerre
d'indépendance et de la guerre civile, l'affrontement
récurrent des communautés nord-irlandaises prises
au piège de la partition entretenaient une instabilité
chronique.
Pourtant, et contre toute attente,
en quelques années l'adhésion des deux parties
de l'île à l'Union européenne, l'aboutissement
du processus de paix nord-irlandais et le foudroyant décollage
économique de la république (ne parle-t-on pas
désormais du « tigre celtique » ?)
ont infligé le plus cinglant démenti aux prophètes
de l'échec. Une Irlande nouvelle ouverte sur l'Europe
et sur le grand large, confiante en l'avenir, est en train de
réécrire sous nos yeux une histoire enfin placée
sous le signe de la réussite et de l'espoir.
❙ | Pierre
Joanon est l'un des meilleurs spécialistes de l'Irlande. Auteur
de nombreux ouvrages historiques, cofondateur de la revue Études irlandaises et président de l'Ireland Fund de France, il a reçu les insignes de docteur honoris causa de la National University of Ireland. |
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L'histoire de l'Irlande et des
Irlandais prend son essor, croit-on, aux derniers siècles
du IIIe millénaire avant J.-C. avec “ l'arrivée
dans l'île de populations indo-européennes qui imposèrent
progressivement leur langue au substrat indigène néolithique ” ;
cette “ aube ”, qui “ n'est
pas moins évanescente que le crépuscule celtique ” est
déjà marquée par deux caractéristiques
qui avec constance exerceront un rôle déterminant :
la proximité (de la grande île voisine et,
au-delà, du continent) qui expose, et l'insularité
qui protège (p. 11).
Avec une rigoureuse précision
et un luxe de détails qui n'exclut pas la clarté,
Pierre Joannon déroule cette histoire en distinguant trois
grandes phases :
1 — Des origines à l'Acte
d'Union,
2 — De l'Union à la Partition
(1800-1920),
3 — De la Partition à l'Union
européenne.
Ce cheminement lent, tortueux
et douloureux, ponctué d'affrontements d'une rare violence,
semble sur le point de connaître un terme apaisé.
Tel est l'espoir qu'exprime l'auteur qui se garde cependant d'un
excès de confiance … jusqu'à conclure son
propos par un “ épilogue provisoire ”.
Dans ces dernières pages
tournées vers un avenir prometteur mais encore fragile,
Pierre Joannon apporte un éclairage singulier sur les
fondements des évolutions les plus récentes ;
s'il constate un apaisement des tensions qui ont si continûment
déchiré l'île, il souligne l'influence déterminante
de facteurs étrangers aux causes en présence :
la mondialisation, l'urbanisation et la sécularisation.
Ainsi, la “ frénésie de consommation ”
pourrait bien être le meilleur garant du non retour de
la lutte armée ; et le plus efficace soutien des
promoteurs de la paix, tels John Hume ou David Trimble, ne serait
dans l'un et l'autre camp que la conséquence d'un réalisme
bien compris.
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EXTRAIT |
[Il existe] deux lectures complémentaires
de l'histoire irlandaise. Il y a d'abord la lecture « traditionnelle »
narrant la destinée d'un peuple conquis et colonisé
entre le XIIe et le XVIIe siècle, qui s'efforce de s'émanciper
tout au long du XIXe, utilisant pour cela la voie parlementaire
aussi bien que l'insurrection ou la guérilla, et qui finira
par obtenir son indépendance politique dans le premier
quart du XXe siècle, au terme d'affrontements
qui préfigurent le grand mouvement de décolonisation
qui devait sonner le glas des empires coloniaux au lendemain
de la seconde guerre mondiale. Et il y a une lecture « européocentrique »,
mettant en lumière la dialectique qui sous-tend toute
l'histoire irlandaise, la faisant s'éloigner de l'Europe
à mesure qu'elle s'intègre davantage à un
monde britannique dont elle ne parvient pas à se dégager,
et la faisant au contraire se tourner vers l'Europe et même
s'agréger à elle dans la phase de recherche de
son indépendance et, à plus forte raison, dans
la phase d'affirmation de cette indépendance chèrement
payée.
Ce que l'Europe représentait
pour certains nationalistes conséquents en plein entre-deux-guerres
a été exprimé avec force par « Todd »
Andrews, un vétéran de la guerre d'indépendance
et de la guerre civile, et l'un des plus fidèles compagnons
d'Eamon de Valera : « Depuis mon plus jeune âge,
j'ai toujours eu chevillée au corps la conviction que
l'Irlande n'avait pas d'autre choix, si elle voulait survivre
en tant qu'entité distincte du monde anglo-saxon qui l'entourait
de toute part, que de s'identifier au continent européen
culturellement et, si possible, économiquement. Je ne
pouvais naturellement pas prévoir l'établissement
de la Communauté économique européenne,
mais je sentais très fortement qu'à moins d'absorber
l'essentiel des traditions et des manières européennes,
et de nous familiariser avec son art, son architecture et sa
littérature, nous serions ravalés au rang d'une
lointaine province du monde britannique, titulaires de mesquins
privilèges du dernier ordre 1. »
James Joyce ne disait pas autre chose, lorsqu'il déclarait :
« Ce que je veux faire par mes écrits, c'est
européaniser l'Irlande et irlandiser l'Europe 2. »
Aussi bien l'adhésion au Marché commun ne fut-elle
pas une démarche dictée par le seul intérêt.
Que l'Europe ait donné à l'Irlande les moyens de
bâtir une économie concurrentielle moderne qui constitue
un modèle de réussite est à porter au crédit
de l'intégration communautaire, mais à condition
de bien voir que ce que l'Europe apporte de plus précieux
aux Irlandais est d'un autre ordre : plus encore que la
possibilité de dynamiser une économie en quête
de débouchés, c'est le désenclavement des
énergies et des mentalités, la fin d'un tête-à-tête
oppressant qui se traduit par l'instauration de relations apaisées
avec un voisin dont on se sent moins dépendant, le rattachement
au continent d'une conscience libérée des pesanteurs
de l'histoire et de la géographie, et la confiance que
ce destin partagé finira par reléguer les violents
soubresants du Nord au magasin des vieilles querelles oubliées.
☐ Epilogue provisoire, pp. 646-647 1. | C.S. Andrews, « Man
of no property », Dublin et Cork : Ther Mercier
press, 1982 (NdA) | 2. | Cité par Richard Kearney,
« L'identité irlandaise ancienne et moderne »
in Gérard-François Dumont (éd.), Les
racines de l'identité européenne, Paris :
Economica, 1999 (NdA) |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Histoire de l'Irlande et des Irlandais », Paris : Perrin (Tempus, 272), 2009
| - « Histoire de l'Irlande »,
Paris : Plon, 1973
- « L'Irlande que j'aime »
photographies par Erwan Quéméré, Paris :
Sun, 1978
- « Michael Collins :
la naissance de l'IRA », Paris : La Table Ronde,
1978
- « Le rêve irlandais :
thèmes et figures du nationalisme irlandais »,
La Gacilly : Artus, 1988
- « L'Irlande, ou Les
musiques de l'âme » sous la dir. de Pierre Joannon,
La Gacilly : Artus, 1989 ; Rennes : Ed. Ouest-France,
1995
- « L'hiver du connétable :
Charles de Gaulle et l'Irlande », La Gacilly :
Artus, 1991
- « Dublin 1904-1924
» sous la dir. de Patrick Rafroidi, Pierre Joannon
et Maurice Goldring, Paris : Autrement, 1991
- « Michael Collins »,
Paris : La Table Ronde, 1997, 2008, 2017
- « La descente des
Français en Irlande, 1798 » journaux des généraux
Sarrazin et Fontaine et du capitaine Jobit, lettres du général
Humbert et rapport de lord Cornwallis : éd. établie
par Pierre Joannon, Paris : La Vouivre, 1998
- « Irlande :
terre des Celtes » photographies par Seamas Daly,
Rennes : Ed. Ouest-France, 1999
- « John Hume »
suivi du témoignage de Garret Fitzgerald, Paris :
Beauchesne, 1999
- « Un
poète dans la tourmente : W. B. Yeats et la
révolution irlandaise », Rennes : Terre de
brume, 2010
- « Il était une fois Dublin », Paris : Perrin, 2013
| - Jane Conroy (ed.), « Franco-Irish connections : essays,
memoirs and poems in honour of Pierre Joannon », Dublin :
Four Courts press, 2009
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mise-à-jour : 23 mai 2013 |
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